Rencontre digne d’intérêt avec Raymond un des deux frères Bernard d’Artemare, octogénaires aujourd’hui, qui furent propriétaires d’une scierie sur cette commune.
S’il ne demeure que des vestiges de cet établissement, de temps à autre Raymond relance la roue qui actionnait les différentes scies. Bien sûr, elle est déconnectée mais elle tourne encore majestueusement entraînée par un frêle cours d’eau (par rapport à son volume et à sa masse). Elle fut forgée au Creusot avec ses 5m70 de diamètre et ses 2m70 de large !
Deux autres roues l’ont précédée, en bois pour la première. Et celle qui tourne encore a été récupérée dans une scierie sur l’emplacement actuel du parking du restaurant Michallet.
Combien de scieries étaient implantées à Artemare et dans les environs jusqu’à Hauteville ? Trois principales certes dans la commune, mais d’autres petites roues tournaient ici ou là, alimentant par exemple des dynamos fournissant l’électricité nécessaires à une famille ou à une petite entreprise.
Des travaux de Romains ! Oui, tout ici chez les frères Bernard est surprenant et semble surgir d’un temps où les hommes avec leur seuls force et courage étaient capables « d’abattre des montagnes ». Certes, il s’agit d’une image, mais l’étang qui alimente le ruisseau fut creusé sans les facilités mécaniques d’aujourd’hui : à la pelle et à la pioche !
Les infrastructures souterraines de la scierie entre les roues, les moteurs et les lames de scie, ont été également creusées à la main, à temps perdu, les jours de repos…
« On m’aurait donné à choisir entre aller à un banquet et travailler ici un dimanche, je n’aurais pas hésité un instant : ce travail c’était ma joie… » nous dit Raymond.
Alors, il évoque l’utilisation qui était faite des bois sciés dans cette entreprise qui fut celle de son oncle alors que son père s’occupait du côté agricole et vinicole de la propriété : « Il travaillait la vigne pour pas grand-chose, elle ne rapportait rien… ».
Oui, les arbres qui passaient par la scie, frêne, hêtre, finissaient en général en chaise paillée, en baguettes de batterie de jazz…
Aujourd’hui ? Si l’entreprise aujourd’hui a fermé ses portes, la vie continue sous d’autres formes: l’étang est toujours là, Raymond entretient les lieux et dieu sait si le domaine est vaste. Son frère Jean a perdu en grande partie l’usage de ses yeux, lui qui fut un mécanicien doué, à l’origine de tous les moteurs utilisés dans l’entreprise.
Ces deux frères furent de véritables chercheurs, ingénieux jusqu’à confondre d’admiration les spécialistes dans tous les domaines. Raymond ne s’est-il pas amusé à dresser un moulin qui tourne en permanence avec la seule force d’un peu d’eau (moins d’un litre par va et vient) amenée d’un petit bac par la force centrifuge. « On me disait qu’il ne fonctionnerait jamais, ils se sont trompés… ». Cette vie de labeur fut leur passion, et même si au bout du compte elle ne leur rapporta pas beaucoup financièrement, la joie d’un travail nourri de volonté, de courage et d’invention seule les anima. Une belle leçon pour notre temps où la roue tourne un peu sans savoir pourquoi…
Michel Bigoni