On ne les voit pas arriver tant elles ont le pouvoir de se mettre en place avec une discrétion aussi lente et sournoise qu’une progression tentaculaire. Elles ont le sourire et les arguments tirés d’un art de séduction longuement éprouvé par d’astucieux bonimenteurs de service. Rompus aux envolées scabreuses de bonnes paroles livrées en pâture aux naïfs que nous sommes de toujours. Pourtant le désenchantement ne manque jamais de surgir lorsque les usines à gaz, puisqu’il qu’il faut bien les appeler par leur nom, viennent gratter dans nos escarcelles en essayant d’écorcher nos dernières illusions de liberté proclamée. Mais avant d’en estimer les nuisances voyons un peu, sommairement, comment fonctionne une véritable usine à gaz, de type industriel, traitant par exemple des composants de l’air.
Là tout commence dans une longue cheminé d’aspiration ou transite un volume d’air bien calibré, lequel est ensuite comprimé puis détendu dans le cul chaud d’une colonne de distillation. Une technologie qui permet de séparer le précieux consommable de l’inutile rapidement expulsé. Lequel, après avoir été bousculé par un puissant système mécanique, est rendu à l’atmosphère où il recherche des copains pour se refaire une santé. C’est ce principe très simple que l’on retrouve partout, tout autour de nous, dans toutes les applications, multiples, d’usines à gaz, qu’elles soient de styles administratifs, structurels ou autres. Pour leur fonctionnement il leur suffit d’identifier quelques bons bougres, bien cools et passibles de traitements, avant de les pressurer ou de les distiller afin de réduire leur superflu pour les ramener, hirsutes et échevelés, dans les limites basses de leur portion congrue. Un principe historique adopté depuis fort longtemps pour contrôler les excès abusifs de nos natures entachées du péché originel. L’une des premières usines à gaz instaurées, remontant aux prémices de l’histoire, concernait les services des dîmes, ou des réquisitions sévères, jamais déboulonnés, à même de tenir le cul au chaud de tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un bon contribuable grassouillet. Ceci afin de le distiller de façon plus ou moins abusive pour pouvoir alimenter les avidités voraces des fameux trésors seigneuriaux.
Des procédés qui se sont maintenus durablement malgré quelques coups de colères populaires sans conséquences notables. On ne peut donc pas oublier les usines à gaz des anciens régimes monarchiques longuement établis et capables de s’auto distiller eux-mêmes pour choisir leur propre hiérarchie du pouvoir. Entre des modestes chevaliers jusqu’aux monarques en passant par toute une kyrielle de zigotos enrubannés, tous comtes, marquis, princes ou barons, tous heureux de vivre dans les babioles bariolées de leurs atours dorés.
Tous à même de créer leur propre usine à gaz afin d’asservir leur environnement fait de serfs ou de sujets copieusement dépouillés. C’est dire si la prolifération des usines à gaz était déjà amorcée pour aboutir à ce que nous connaissons aujourd’hui où quoi que l’on fasse où quoi que l’on pense, on est cerné par un environnement de véritables pompes aspirantes.
Rien ne change vraiment. Dispose-t-on d’une pauvre bagnole, même cabossée, et là, de façon systématique, de nombreuses usines à gaz viennent immédiatement parasiter nos premiers kilomètres parcourus. On n’échappe pas aux obligations énergétiques dont les mystères comptables, entre barils et pompes, relèvent de calculs aussi savants que l’incompréhension. Quant aux assurances, aux contraintes de circulation, aux menaces de répressions et autres obligations de contrôles mécaniques elles ont cette insistance qui épuise nos ultimes réserves d’écureuil parcimonieux.
Sans parler des bidules d’alcotest ou mini usine à gaz pour chauffeurs imbibés. Et que dire de ces déploiements administratifs, associatifs, ceux de syndicats, de sectes ou d’autres superstitions qui se multiplient en ramifications pour distiller ce qui nous reste de bon sens naturel. On est cerné de partout. Alors pour résister il ne nous reste plus qu’une seule usine à gaz vraiment digne de ce nom, celle de l’humour, qui analyse, soupèse, distille et ironise de tout ce qui court de bêtises et d’incohérences dans ce bas monde déboussolé.
Le sujet est inépuisable :
– Au fait, Marcel, quand est-il de ces bidules compliqués, ces nouveaux compteurs machins, électriques ?
– Encore une de ces usines à gaz, une de plus, qui risque bien d’éroder un peu plus nos libertés ! On n’a pas fini de rigoler !
Paul Gamberini