Il était une fois une belle pompe à essence, toute blanche, implantée en bordure d’un parking commercial. Une présence contre laquelle il n’y avait rien à dire, ni en bien ni en mal, tant elle assurait un service de précision, réglé à la goute d’essence ou de diésel près, au choix et selon le moteur concerné. Tout cela dans un vrombissement de mécanisme secret dont le bruit caractéristique était offert en prime aux bonnes vieilles oreilles passives des consommateurs polis et obligés.
Quant à son système de règlement, il affichait l’honnêteté d’un comptage ajusté au centime dans une machine à sous dévoreuse de cartes de crédit. Celles qu’elle rejetait après les avoir copieusement essorées de leurs précieuses substances informatisées.
Pendant très longtemps les choses se passèrent ainsi, dans une ambiance soutenable, quand toutes les bagnoles semblaient s’accommoder des fluctuations de prix dont les courbes pointues ressemblaient à celles d’une étape du tour de France, dans les Alpes ou dans les Pyrénées. Puis vint le temps où les pics de ces étapes commencèrent à franchir des hauteurs si épuisantes qu’ils fragilisaient la capacité respiratoire des usagers.
Les pauvres en avaient tous le souffle coupé. C’est alors que notre pompe à essence, animée par un sentiment de charité, étrange et complétement méconnu dans la profession de pétroliers, décida d’apporter une contribution modeste mais ponctuelle grâce à son système déréglé. Cela au profit de quelques véhicules qui, pour elle, avaient des allures de carcasses branlantes, en périls, dont celle de Marcel, un retraité très grognon, comme beaucoup, qui conduisait depuis des lustres sa vieille Simca 1000 verte, encore immatriculée : 103 AG 01.
On était à la veille de Noël quand il se présenta devant la pompe avec sa carte de crédit qu’il introduisit, après beaucoup d’hésitations, afin de retirer ses 10 litres habituels. Ensuite il eut la surprise de voir que la machine se laissait aller à débiter, sans obéir au mécanisme, allant jusqu’à faire le plein complet de son réservoir avant de s’arrêter.
Sa surprise fut encore plus grande à la lecture du reçu, quand il constata que celui-ci n’affichait aucune somme mais une inscription qui disait : « Bon Noël à toi mon vieux Marcel ! »
C’était complètement extraordinaire mais après tout, se dit-il, c’est Noël.
Par la suite, Marcel n’a jamais voulu dire, à qui que ce soit, où se trouvait cette fameuse pompe à essence qu’il continua de fréquenter fidèlement et cela pendant très longtemps.