Peut-être en surprendrais-je quelques-uns si je leur racontais que notre bonne vieille ville de Belley était toujours placée sous la protection de Saint Anthelme.
Un Patron sorti tout droit de son Moyen-Âge avec l’esprit d’une époque imprégnée de grande ferveur et de pieuses orientations, quand le moindre religieux illuminé ne sortait jamais de chez lui sans être surmonté de sa belle auréole dorée brillante de spiritualité. Ceci afin d’impressionner les derniers réfractaires du coin, des purs ou des durs résistants, toujours les mêmes, afin de les ramener dans le giron protecteur de la très Sainte Mère l’Eglise.
Une période religieuse, s’il en est, quand l’organisation sociale trouvait son équilibre entre les inévitables et les très nombreuses tentations terrestres, entre la conscience du péché, la purification du confessionnal, la miséricorde du tabernacle et l’espoir d’une éternité de très longue durée dans un au-delà de type « Club Méditerrané », avec cocotiers, sable blanc, mer bleue, boissons inclues et j’en passe…Tout un programme prometteur qui se déroulait d’abord entre un baptême et une extrême onction placés sous la surveillance étroite et bienveillante de quelques congrégations, comme celles des bénédictins, des cisterciens, des chartreux et d’autres émerveillés. De tout ce qui transformait le Bugey et ses campagnes en un vaste monastère complétement tourné vers le ciel.
C’était il y a longtemps.
Depuis les choses ont beaucoup changé et on peut se demander ce qu’est devenu notre bon Saint Anthelme ?
Comme il n’apparaît pas trop souvent, pour ne pas dire jamais, on pourrait essayer de l’invoquer par la prière pour avoir de ses nouvelles, mais avec un doute quant aux résultats. Car il faut bien admettre que les communications avec l’au-delà ne sont pas offertes aux communs des adorateurs ramollis que nous sommes largement devenus.
Mais avant de faire des tentatives de contacts on pourrait se demander qui était ce fameux Saint Anthelme ?
Sa biographie généreuse nous raconte que c’était un savoyard, un vrai, né à Chignin vers 1106 sur une terre de vignobles bien exposés et toujours renommés.
Puis, devenu adulte, qu’il aurait longuement œuvré dans toutes les Chartreuses du coin avant d’être nommé évêque de Belley avec, cerise sur le gâteau, le titre de Prince du Saint-Empire.
Bref, un parcours remarquable fait de piété, de rigueur et de gravité, qui pourrait nous faire penser que ce n’était pas vraiment un noceur forcené.
Avec lui, ce devait être du sérieux de chez les bienheureux sérieux accrochés à leur dogme bien ficelé de très saintes recommandations.
On peut même s’interroger sur ce qu’il aurait pu bricoler s’il était tombé à notre époque où l’indifférence générale transforme les zombis, consommateurs que nous sommes presque tous, en adeptes inconditionnels de supermarchés ou de téléphonie mobile, voire plus si affinité.
Pour en savoir davantage le mieux était d’imaginer une rencontre en éprouvant une curiosité légitime compte tenu du décalage millénaire entre son monde moyenâgeux et le nôtre. Et puis allait-il être disposé à communiquer ?
Bref, me disais-je, on verra bien !
Je le retrouvais donc assis sur un banc, devant la Cathédrale de Belley, accoutré de tous ses atours de pompes et de circonstances religieuses avec sa mitre, sa canne et sa bague de prélat aussi enclin qu’autrefois à évangéliser tout ce que nous avions de brebis égarées dans notre bon vieux Bugey généreux de mousseux et de robustes convivialités.
Certes, il était heureux de voir qu’on lui refaisait sa façade de Cathédrale mais il se désolait de la voir aussi déserte de fréquentations qu’un salon du livre religieux, consacré à Sainte Gudule, par une belle journée de printemps. Je m’efforçais de lui expliquer que les choses avaient beaucoup changé mais qu’en tant que Patron de la ville, j’insistais, il avait toujours d’énormes responsabilités. Que pour l’année à venir le plus important allait être la préparation de nouvelles élections municipales avec des enjeux considérables pour la ville de Belley et pour sa région. Ceux que je pouvais lui citer. Que cette fois il ne devait pas se dérober et qu’il devait utiliser tout son pouvoir de Saint Patron pour nous apporter un peu de clairvoyance afin d’élire une équipe capable d’adoucir nos misères.
Je le voyais hésitant car la politique n’était plus vraiment son truc de religieux céleste, mais malgré tout il m’assura de ses prières pour me rassurer et après m’avoir accordé sa bénédiction il s’évapora subitement pour retrouver les lumières de son éternelle demeure.
Je restais là, hébété, à moitié rassuré avec le sentiment profond qu’il allait peut-être bien nous laisser tomber pour de bon ? Affaire à suivre !
Paul Gamberini