Il était une fois un petit âne dont le nom peu commun d’Antoine lui avait été donné par une ancienne institutrice, en souvenir de l’un de ses élèves. Un cancre de bon aloi qui avait eu de sa scolarité une perception assez légère, à la manière d’une hirondelle, à virevolter très haut dans les espaces infinis d’un imaginaire immédiat. Un doux rêveur qui avait pour le bonnet d’âne une reconnaissance particulière car sous sa coiffe, dans son coin de pénitence, il pouvait s’évader librement vers l’émerveillement de son univers familier. Son comportement avait marqué la carrière de son éducatrice qui se demandait parfois ce qu’il avait bien pu devenir. Personne n’aurait pu lui répondre et encore moins le petit âne lequel, dans son enclos tout proche, avec ses yeux tristes et ses grandes oreilles, la regardait avec une passivité qui ne cessait de lui rappeler celle de son ancien cancre souverain. Etait-il possible qu’il puisse exister une connivence entre un animal et un enfant distrait, se demandait-elle souvent ? C’était peu vraisemblable. Puis le temps passait et un incident, assez surprenant, intervint un peu avant les fêtes de Noël.
Selon son habitude la vieille dame, qui avait pour l’âne, Antoine, une attention particulière, se rapprocha de son enclos où l’animal, les pattes dans la neige et la respiration embuée, s’avança vers elle pour avoir le réconfort de ses caresses. C’est alors que pour des raisons de froid ou de fragilité passagère, la vieille dame eut un malaise soudain qui la coucha sur le sol glacé. A la vue de ce corps terrassé, l’âne, Antoine, se mit à braire de toute la puissance de son souffle et de toute la force de son instinct protecteur d’animal domestique. Ainsi l’alerte avait été donnée. Et plus tard, quand elle rouvrit les yeux, elle découvrit le visage éclairé d’un pompier, qui venait de lui sauver la vie. Elle le reconnut, c’était Antoine, le cancre de ses souvenirs qui avait trouvé dans le beau métier qu’il exerçait l’aboutissement de ses rêves d’enfant.
Remise sur pieds elle organisa une fête de Noël pour remercier l’un et l’autre : ses deux Antoine réunis. Elle avait désormais la conviction que les cancres, quels qu’ils soient, sont souvent très précieux car ils savent donner le meilleur d’eux même, de simplicité, de gentillesse et de courage. Alors que les « grands » de ce monde brillent par leur suffisance, les plus humbles savent offrir la chaleur de leurs sourires qu’ils accompagnent d’humanité et de générosité. Intuitivement, comme pour soutenir la réflexion de la vieille dame, l’âne, Antoine, se mit à braire pour souhaiter un bon et un joyeux Noël à tous les cancres rêveurs et à tous les ânes de la terre entière.
Paul Gamberini