Il était une fois une nouvelle année qui s’ouvrait sur un long ruban sur lequel on allait écrire son histoire. A la manière d’une grande page blanche, vierge et immaculée, qui invitait les plus visionnaires à prédire l’avenir des jours, des semaines et des mois à venir. Des suites d’événements incertains avec leurs cortèges de nouvelles, d’émotions, d’angoisses, de bonheurs et peut-être même de franches rigolades pour assurer le moral des troupes. Tout cela dans une ambiance plutôt tristounette nourrie de surprises, de mines moroses et de sujets préoccupants sur lesquels les avis étaient largement partagés. Pourtant tout avait bien commencé, quand les préludes du nouvel an s’étaient déroulés de façons habituelles, quand chacun et sa chacune avaient profité des réjouissances festives et pétillantes du moment pour s’imbiber l’esprit d’impressions euphorisantes. Comme une espèce d’anesthésie générale noyée dans les lumières clignotantes d’un bonheur fugitif, ce qui permettaient de souhaiter la bonne année à quiconque se retrouvait dans la périphérie immédiate d’un bon gros bisou sonore et bien appuyé. Bonne année à toi, Jules, et à toi, Léon, surtout à toi, ma tendre, Amélie. Hic, hic, hic et bisou-bisou!
Puis les jours qui suivirent ne tardèrent pas à se charger de commentaires capables de plomber l’ambiance avec l’annonce de présages inquiétants blablatés par des oiseaux de mauvais augure. On allait voir ce que l’on allait voir : la fin des haricots pour réduire les émanations de gaz à effet de serre, la limitation à 7,16° du degré d’alcool dans tous les pinards afin de retrouver les vertus acides des vieilles piquettes d’autrefois et enfin l’âge de la retraite repoussé à la date du décès de chaque individu. Car on avait désormais la certitude que l’éternité permettait de se reposer pendant très longtemps sans mettre en péril les trésoreries fragiles des pensions concernées.
C’était des projets complètement farfelus, sans fondement sérieux, destinés à agacer mais surtout à faire peur au quidam moyen qui vivait dans l’angoisse de changements radicaux. Ce qui permettait aux adeptes de bistrots, qui sentaient l’ail ou la cigarette, d’avoir des échanges chargés d’humour, inspirés par les vapeurs liquoreuses des comptoirs embués. Un des premiers à s’exprimer était un solide gaillard qui ne connaissait qu’une seule menace sérieuse dans la vie, celle d’une cirrhose du foie. Si en plus on doit picoler de la vinasse pour se bousiller l’estomac, disait-il, alors là je vais virer fissa-fissa dans la modération la plus vertueuse et saluer chaleureusement tous les contrôles routiers! Puis les végétariens, tous plus ou moins verts de colère, commencèrent à s’inquiéter, car pour eux il n’était pas question de supprimer les haricots alors qu’il n’avait jamais été prouvé que ceux-ci provoquaient des émanations de méthane après avoir été consommés. Selon eux, les plus gros pollueurs en matière d’émission de gaz à effet de serre étaient les sportifs qui exhalaient plus que la moyenne au cours de leurs gesticulations compétitives. Leurs « empreintes carbone » devraient être mesurées et lourdement taxées, disaient-ils. Quant aux futurs retraités, les annonces faites les condamnaient au travail forcé jusqu’à l’épuisement avant d’avoir les bénéfices d’une Caisse de Retraite qui ressemblait étrangement à ce que l’on pouvait leur offrir de mieux en fin de vie. C’était inadmissible, monstrueux, sadique et terrifiant.
Finalement, une fois que tout cela eut été présenté, discuté et remanié à plusieurs reprises par des décideurs illuminés et après de nombreuses manifestations qui s’abritaient sous la bannière de la raison, les choses retrouvèrent le cours normal de leurs très lentes évolutions. Il ne restait plus qu’un mauvais traumatisme qui s’apaisa complètement au cours de l’été, juste avant les vendanges qui se firent dans de bonnes conditions. Quant aux haricots leur récolte fut à la hauteur des meilleures productions et les retraités connurent une année normale. Avec un peu d’arthrose, des grognements d’anciens fatigués et des rencontres conviviales joyeuses et bien arrosées. Mais avec un peu d’angoisse tout de même, ce qui fut préjudiciable à la santé des plus fragiles d’entre eux. En somme une année presque banale sans trop d’histoires. Amen !
Bien sûr je me devais de faire lire ce texte à mon ami, Marcel, qui eut cette réaction :
« Ce n’est très pas très marrant, tout ça, tu dois être un peu déprimé, non ? Mais tu devrais retrouver le moral avec les prochaines élections municipales car j’ai l’impression qu’on va bien s’amuser. J’espère seulement qu’on fera le choix d’une bonne équipe, qui tienne la route et qui réponde à nos espérances. Tu verras que tu te sentiras beaucoup mieux après, en attendant je te souhaite une bonne et une heureuse année ! »
Merci Marcel et bonne année à tous !
Paul Gamberini