Il serait amusant de tourner autour du Jet d’Eau de Belley pour y chercher une forme d’inspiration. Là où de façon pédestre on dispose de tout son temps pour laisser filer son imagination en prenant conscience de l’importance du lieu, comme le centre nodal d’un maillage serré de routes et de chemins. Avec des directions qui s’éparpillent partout, vers tous les éloignements ou qui rapprochent la multitude de ceux qui aspirent aux plaisirs du Centre-Ville. Cela pour y retrouver une ambiance particulière de vies, de rencontres, d’échanges, de chaleurs humaines, de convivialités et de négoces. Enfin de tout ce qui forme les charmes d’une Cité heureuse et agréable, telle que l’on souhaiterait qu’elle soit toujours : à la fois accueillante, offerte, libre, respectée, soigneusement entretenue et surtout sérieusement protégée.
Quant à la Place, qui met en valeur le Jet d’Eau, elle s’ouvre comme un superbe puits de lumière, à la manière d’un large espace circulaire bordé de constructions et d’établissements commerciaux qui soulignent son caractère, tourné vers les offres et les services les plus divers. Afin de les apprécier il est bon de se laisser aller à musarder pour admirer la salle des fêtes, d’abord, avec tout ce qu’elle nous rappelle de souvenirs, puis de longer quelques boutiques dont celle qui nous observe depuis ses lunettes d’opticien et celles d’un apothicaire riche de ses potions magiques ou d’autres aux offres différentes. Ensuite on peut lézarder à loisir à la terrasse d’une brasserie, bar, bistrot ou café, agréablement fréquentée. Là où on se retrouve, entre amis, pour tout se raconter, de tout et de n’importe quoi. De ces choses qui chagrinent parfois et qui se dissipent, par enchantement, dans la facilité de bonnes plaisanteries : dans des saveurs de bavardages souverains et de détentes inlassablement renouvelées. Plus loin, si besoin est, on bavarde brièvement avec le buraliste pour apprendre que la Fumée Tue. Juste avant de consulter les rubriques nécrologiques voisines pour découvrir ce qui nous attriste toujours mais qui nous conforte dans l’idée que nous respirons encore passablement bien, alors que le temps passe vite et qu’il faut savoir en profiter.
Il pourrait s’agir là d’un cheminement apparenté à un parcours initiatique circulaire, quand sortant d’un excès de salle des fêtes bouillonnante de joie et d’abondance, on se retrouve, le regard trouble, devant la vitrine à lunettes puis, pour se dégriser un peu, devant celle des potions magiques. Quant à celle des parfums elle nous permet de songer à une odeur récente, envoûtante et devenue chère, cela avant de rejoindre un bistrot pour tout raconter d’une aventure mémorable ou pour savourer l’intimité d’un rendez-vous, galant, fraîchement consenti. Le temps de songer à la bijouterie voisine pour un cadeau de circonstance puis de fumer une cigarette, qui Tue, devant le bureau des pompes funèbres. Voilà, histoire de boucler symboliquement une boucle qui pourrait être celle d’une belle existence !
Enfin il nous reste à admirer le Jet d’Eau et pour cela on se rapproche de sa bordure immédiate. Et là, devant sa structure qui s’élance de façon élégante vers le ciel on mesure son importance et surtout la délicatesse ou la fragilité de sa présence au milieu d’un circuit qui gronde, tout autour d’elle, la nervosité d’une époque motorisée. L’impression qui se dégage de ce spectacle permet de laisser aller sa rêverie quand les jeux d’eau projettent leurs magies de gouttelettes colorées de lumière, lesquelles ruissellent ensuite vers le retour permanent de leurs recyclages. Quand une pompe est à l’ouvrage. Mais à écouter leurs murmures on devine leur tristesse comme si leur écoulement comportait des larmes de chagrin. De celles qui pleurent de l’indifférence qui est portée à ce magnifique Jet d’Eau alors qu’il est là, fidèle à son devoir, en véritable joyau, pour permettre à la beauté d’une place remarquable de rejaillir partout, sur l’ensemble de la ville et bien au-delà encore dans tout le bassin. Un joyau dont l’entretien et la protection mériteraient davantage d’attentions et de soins partagés par chacun d’entre nous.
Paul Gamberini