Il était une fois un voyage qui n’avait jamais voyagé. Discrètement inséré dans la brochure d’une agence spécialisée, il ne suscitait guère d’attention. Quant à son affichage, imprimé en grosses lettres sur un espace bariolé, il indiquait simplement : « Voyage sans histoire. Pour me faire voyager, embarquez-moi dans votre imaginaire. » Et cela sans autre explication ?
Il s’agissait d’une invitation étrange qui apparaissait entre différentes destinations proposées, lesquelles se déployaient partout, sous toutes les latitudes et sur tous les continents. Pour la majorité de ceux qui feuilletaient la brochure, de page en page, entre un séjour à Zanzibar et une excursion sur le Nil, il ne pouvait s’agir que d’une erreur d’impression. Mais pour ceux qui avaient une propension aux rêveries, la suggestion induite leur semblait être opportune. Elle devait permettre à tous de voyager, entre ceux qui en avaient les moyens et les audaces de le faire et les autres, confinés par des contraintes sanitaires sévères ou par des limites économiques avérées. Ces derniers ne pouvaient compter que sur les fantaisies de leur imagination pour s’évader dans toutes les situations mirobolantes d’aventures complètement fantasmées. Comprenant le sens du message, une toute jeune fille du nom de, Anne Fleur de Prune, décida de partir à la découverte d’un pays qui l’attirait particulièrement, cela en compagnie, virtuelle, du voyage sans histoire, afin de l’entraîner dans les surprises extraordinaires d’un séjour imaginaire. Et c’est ainsi qu’elle s’envola avec lui pour le Kenya.
La destination choisie n’avait rien de surprenant quand on savait que la jeune fille avait pour ce pays la curiosité partagée par de nombreux enfants, captivés par la lecture de l’ouvrage de Joseph Kessel : “Le Lion”. Les descriptions de ce livre étaient telles qu’il lui fut facile de substituer aux décors de son environnement habituel les images les plus exotiques qui appartenaient aux scènes fascinantes, sauvages et naturelles, des réserves animalières de l’Afrique. Dans son esprit, cette transition fut à la fois instantanée et totale. Ce n’est pas tant le voyage, en lui-même, qui la faisait rêver mais son éblouissement immédiat dans la réserve d’un Parc alors qu’elle s’éveillait dans la lumière magique d’un jour presque soudain, privé d’aurore et qui révélait, tout autour d’elle, un spectacle digne des premiers jours de la création. D’abord le silence de la savane, à peine dérangé par des vols d’oiseaux ou par des bruissements furtifs d’animaux tout proches dont celui d’une autruche, un peu audacieuse, qui venait la saluer. Puis des senteurs nouvelles portées par le souffle calme et déjà chaud de l’air : celles d’herbes sèches qui s’associaient à celles de buissons odorants.
Quant à la vue elle observait plus qu’elle n’admirait comme si elle était mise en alerte par un sentiment partagé entre la crainte et la fragilité d’une exposition trop imprudente. De la Lodge qui l’accueillait les premiers bruits de l’activité matinale avaient la discrétion d’un rituel soigné marqué par la volonté de ne pas déranger l’équilibre, plus que millénaire, d’un grand sanctuaire naturel. Une règle imposée, établie pour le fonctionnement d’une petite implantation, intrusive et minuscule, perdue dans l’immensité d’un espace voué à la liberté des espèces sauvages et aux plaisirs prudents mais respectueux de la contemplation et de l’émerveillement.
Un guide l’attendait, il se nommait, Abédi, et son sourire s’accordait à son allure qu’il avait su modeler au cours de ses nombreuses années de parcours et de découvertes dans les endroits les plus divers du Parc. Sa présence et son silence étaient rassurants comme s’il existait entre lui et les animaux sauvages une sorte de connivence fragile afin de permettre, de façon mesurée, la présence de visiteurs impressionnés, livrés aux influences les plus fortes et les plus incontrôlables de leurs émotions. Puis il en alla ainsi jusqu’au terme de son rêve quand, Anne Fleur de Prune, émergea enfin, songeuse, en compagnie du voyage sans histoire qui venait de voyager avec elle.
Ensuite, le temps s’écoula jusqu’au moment des fêtes de Noël alors que son père parcourait la nouvelle brochure de voyages présentée par la même agence. Une annonce le fit réagir, avec enthousiasme, quand il réalisa qu’il avait trouvé, enfin, le cadeau inespéré qu’il souhaitait offrir à sa fille. Il décida d’y répondre favorablement.
Plus tard, Anne Fleur de Prune, maîtrisa ses émotions, du mieux qu’elle le pût, lorsqu’elle prit connaissance du voyage concerné. Le Kenya, se dit-elle à plusieurs reprises, pour un séjour comportant les visites de plusieurs Parcs dont certains d’entre eux avaient une ouverture, à la fois symbolique et merveilleuse, sur les éternelles et inoubliables Neiges du Kilimandjaro. C’était le rêve absolu. Discrètement elle se laissa aller à quelques larmes de bonheur en songeant au voyage proposé dans la brochure qui, cette fois, avait trouvé l’histoire qui lui était destinée et qui allait lui permettre de voyager très souvent dans un pays magique : le Kenya.
Paul Gamberini