Un mercredi après-midi d’octobre, dans les rues de Belley. Un flot de voitures incessant traverse le centre-ville, mais du côté des passants, ils sont peu nombreux. Thérèse, 90 ans, semble un peu perdue Place des Terreaux. « Je cherche les magasins de vêtements, je crois qu’il y en a un peu plus haut. Les autres sont fermés… ».
Cette habitante de Culoz venait régulièrement faire ses courses à Belley avant le décès de son mari. Aujourd’hui, elle qui se déplace difficilement se fait plus rare, d’autant plus qu’elle ne retrouve plus ses repères.
Dans son magasin d’optique joliment éclairé, Julie (le prénom a été changé) se lamente de la désertion des clients dans le centre-ville. « Le gros point noir, c’est le stationnement ». Parking payant, disque, disparition des places de parking au profit des parcs à vélos… La ville de Belley suit la tendance actuelle visant à progressivement piétonniser les rues et privilégier les mobilités douces. La police municipale veille, et serait plutôt intransigeante. Résultat : il faut souvent se garer plus loin, au parking Lamartine ou près de l’ancien hôpital. Un frein pour certains. « Si le client doit faire plus de 5 min à pied, il ne vient pas. D’autant plus les jeunes, regardez dans la rue, vous n’en verrez pas ».
L., commerçant, n’en veut pas à l’équipe municipale qu’il trouve « très à l’écoute » pour redynamiser le centre-ville, malgré certaines décisions qui le laissent songeur, comme le récent changement du sens de circulation et l’installation de parcs à vélo peu utilisés. « Et pourtant je suis cycliste », tempère-t-il. Pour lui, nous jouons un jeu dangereux : « La piétonisation ne marche que dans les villes très touristiques. Regardez à Bourg-en-Bresse ou même à Chambéry, les boutiques du centre ferment les unes après les autres ».
La solution passe-t-elle par des transports en commun, permettant d’acheminer la population au centre-ville tout en chassant la voiture ? L. trouve l’idée « intéressante », même s’il pense que le commerce dans son ensemble traverse une crise comparable à celle des petites épiceries à l’arrivée des supermarchés. « Le commerce de bouche tire encore son épingle du jeu, pour les autres c’est plus difficile ».
Le commerce de proximité a-t-il encore un avenir ?
Romain, quadra actif passant en coup de vent au centre-ville « parce qu’[il est] en vacances » avoue faire ses courses la plupart du temps près de son lieu de travail, dans une zone commerciale. A l’exception du samedi, où il aime venir déambuler sur le marché en famille. « Les petites villes tendent à devenir des cités-dortoirs, les actifs ont pris d’autres habitudes ».
La., 38 ans, habite en centre-ville et apprécie de trouver le nécessaire à proximité de chez elle sans prendre la voiture. « Le commerce de proximité permet d’être considéré(e) individuellement, le commerçant connaît nos goûts et peut nous apporter un conseil personnalisé. On peut, selon les affinités, nouer des liens, se dire bonjour, échanger sur tout et rien, sans forcément rentrer dans la boutique… ».
Le lien, c’est aussi ce qui anime G., commerçante. « Nous sommes à un tournant, commercialement parlant ». Elle en appelle à une « prise de conscience collective », même si elle craint aujourd’hui qu’il ne soit déjà trop tard. « Nous sommes en bout de chaîne, mais la machine sera vite enrayée. Nous avons pour le moment été très préservés, dans notre petite ville, avec une union commerciale très active et une municipalité qui fait tout ce qu’elle peut ».
Tous dressent le même constat : la clientèle fidèle, vieillissante, reste, mais on ne « recrute » plus de jeunes.
Pour G. « sans être moralisatrice, le client doit prendre ses responsabilités. On a une génération qui vit derrière ses écrans. C’est pratique, mais est-ce épanouissant ? La preuve que non, les gens n’ont jamais été aussi malheureux ! ».
Ce serait presque philosophique…
Et d’ajouter : « Les commerçants proposent, les clients disposent. Tout le monde est content d’avoir des commerces avec des vitrines et de la lumière… mais quand ils fermeront, ce sera fini ».
Propos recueillis par Fabienne Bouchage