On devrait pouvoir dire l’inverse : Sans Dessous Dessus ? Puis d’admettre que ces expressions, un peu bizarres, puissent avoir la même signification pour signaler la présence de désordres insupportables. Ceux de nature à éveiller les critiques et à susciter des reproches désobligeants pour les plus négligents ou les plus susceptibles d’entre nous. Histoire de nous sortir de notre torpeur habituelle, distraite, pour nous faire comprendre, gentiment ou vertement, qu’il serait temps de remettre les choses en place. Il en va ainsi de nos relations habituelles, celles qui courent dans nos ménages harmonieux, quand l’exaspération de l’un ou de l’autre se traduit de façon autoritaire ou suppliante pour stimuler des ardeurs résiduelles de bonne volonté, comme : « Roméo, tu exagères, la maison est sans dessus dessous et tu te vautres dans un laisser-aller déconcertant en me regardant tout faire, ou en m’admirant avec les yeux humides d’un soupirant larmoyant. Mais bouge-toi donc un peu, non de non ! » Et là on peut penser que la réponse susurrée soit du style : « Mais non, mais non, Juliette, la maison n’est pas aussi sans dessus dessous que ça, elle est plutôt sans dessous dessus! » Une réaction facile, parfois bredouillée ou même mâchouillée, avec un soupçon d’humour pour adoucir la situation, avant que le brave Roméo, (que nous sommes tous) après quelques soupirs de circonstance, s’exécute, le plus docilement possible. Dans une sorte de situation qui devrait nous permettre d’imaginer l’intimité d’une relation baignée d’amour et de tendresse, comme celle de Roméo et Juliette, s’ils s’étaient mis en ménage, un jour, dans les vieux murs de Vérone. Malheureusement les circonstances brutales et les oppositions familiales sans dessus dessous qui dominaient ne leur étaient guère favorables. Et c’est dommage, car baignés dans une passion légendaire, partagée et émotionnellement entretenue, ils auraient préservé la paix de leur union en repoussant la mesure de sa fragilité. Roméo aurait accepté, de bon cœur, les fréquentes remontrances amoureusement prononcées par sa Juliette, douce, émerveillée et compréhensive. Que du bonheur annoncé, cruellement empêché par le contexte violent sans dessus dessous dans lequel ils vivaient alors : tristesse !
On pourrait même ajouter que si Roméo avait eu des instincts de bricoleur domestique, une visite de son outillage aurait permis de découvrir l’entassement d’un amalgame négligé, là où le sans dessous dessus s’incruste dans le sans dessus dessous, comparable à l’étal tristounet d’un marché aux brocantes. Soit un modèle de rangement particulier qui nous est familier (pour beaucoup d’entre nous) et qui ne semble pas contrarier notre capacité de retrouvailles, grâce au sens inné du désordre maîtrisé, qui nous est propre, pour le moindre de nos bidules dissimulés. Et là Juliette n’aurait rien eu à redire sachant que ce laisser aller pouvait être compensé par d’efficaces interventions de bricolages. Tout ça pour dire que nos sans dessus dessous domestiques ne font qu’alimenter de petites chamailleries sans lendemain qui s’adoucissent rapidement et qui s’oublient derrière les sourires de la gentillesse. Ce qui n’est pas toujours le cas dans d’autres situations.
Et là on retrouve nos vieux amis, nos grognons de toujours ; tous disposés à rappeler, inlassablement, que désormais tout est sans dessus dessous, que plus rien ne fonctionne favorablement, autour de nous, dans les rouages divers de notre société. Que les solutions possibles, discutées dans les assemblées concernées, sont toujours contrariées par des oppositions irréconciliables, entre ceux qui prônent le sans dessus dessous et ceux qui refusent mordicus le sans dessous dessus. On ne s’en sort plus, ce qui fait dire à mon ami Marcel : « Pour aller dans le bon sens il faudrait que tout le monde fasse preuve de beaucoup de détermination et de respect pour une Juliette qui pourrait s’appeler : Courage, Civisme, Honneur ou Solidarité, au choix ! »
Paul Gamberini