Et puis une nuit j’ai fait un cauchemar dans lequel je sentais les effets d’un frisson dérangeant, une sorte de courant glacé qui contrariait mes conceptions de citadin souriant, d’ordinaire plongé dans une sorte de béatitude de contemplatif heureux. On commençait à parler autour de nous des prochaines élections municipales. C’était prématuré. Déjà on voyait surgir des bois, épais, divers opportunistes de tous bords qui fleuraient bon la caresse des égos, l’orgueil des ambitions et l’affutage pointu des dents longues. Voire des dents très longues, de celles qui arrivent à rayer en profondeur le parcours d’arrivistes froids et déterminés. Il y avait une large disparité de prétendants qui affichaient des mines affables et souriantes, mais souvent grimaçantes. Tous affirmaient avoir des compétences mirifiques d’exécutifs bronzés et dynamiques, ou de cadres vieillissants et passablement amortis. De ceux qui se sentaient capables de vous transformer une administration déconfite en un exemple extraordinaire de fonctionnement idyllique. C’était des promesses faciles et gratuites issues d’un petit manuel de démagogie bien classique et bien rodé, afin d’apporter des réponses aux écueils saillants du moment : un véritable exercice de langue de bois. L’autorité d’abord, le courage ensuite, puis la prospérité de retour dans le centre-ville, enfin l’énergie retrouvée, la sécurité assurée, les feux d’artifice, la musique et les flonflons, l’assistance totale, le déneigement et le ramassage des poubelles dans des conditions d’hygiène et de rapidité capables de neutraliser complètement l’odeur nauséabonde des restants de poissons. Bref une série de performances ou de prouesses qui devaient parvenir jusqu’aux plus profond des recoins perdus d’une cité radieuse, épanouie, tournée vers l’avenir. Mais ce n’était que des engagements de circonstance qui manquaient de sincérité : du style élisez-moi d’abord parce-que je suis le plus beau et le meilleur, après on verra bien ce que l’on pourra faire ! Peut-être rien du tout ?
Je gardais de cette vision un goût amer comme si elle pouvait être le message prémonitoire de ce que l’on risquait de connaître et même de redouter très bientôt. Quand les électeurs, aussi soucieux que possible de leurs devoirs de citoyens, n’avaient pas d’autre choix que de souscrire aux promesses issues d’un énorme nuage d’illusions. Qu’ils risquaient d’être captifs, influencés, voire anesthésiés par des programmes de politique séduisants et cela jusque dans la solitude des isoloirs. Tout en demeurant craintifs de leur avenir d’administrés et de la menace qui pourrait peser sur leurs contributions d’espèces sonnantes et de plus en plus trébuchantes.
Alors, ne pouvait-on pas envisager d’autres alternatives plus sereines que celles de candidatures imposées ou spontanément affichées afin d’avoir une confiance totale dans le choix de nos décisions ? Celui de ne pas douter de la sincérité des candidats, de leurs engagements, de leurs dévouements et surtout de la solidarité de leurs conseils ou de leurs unions sacrées ? S’il nous était permis de rêver encore un peu ne pourrions-nous pas essayer d’imaginer ce que l’on devrait attendre d’une prochaine élection municipale. Avoir un maire de tendance ouverte et sympathique, une personnalité reconnue pour ses qualités d’administration, pour son courage, sa détermination, sa capacité d’écoute et sa grande conscience du Patrimoine. Celle d’avoir une sensibilité particulière pour son Centre-Ville. Celui que l’on pourrait rencontrer au hasard de nos balades en ayant le plaisir discret de son attention chaleureuse. Un magistrat d’allure bonhomme au contact de ses concitoyens, le sourire aux lèvres, l’œil rassurant et la mine plutôt joviale conforme au caractère traditionnel de notre bon vieux territoire bugiste. Enfin un personnage pétri de modestie, de sagesse et de bon sens, génétiquement vacciné contre la prise de grosse tête, ce fléau terrible qui perturbe tant l’esprit des plus faibles et qui les grandit souvent, de façon monstrueuse, dans l’illusion de leur capacité limité.
Il me suffisait, pour me conforter, de consulter mon ami Marcel :
-« Les élections municipales, oui, c’est encore un peu loin mais à trop vouloir demander de nos candidats crois-tu que tout pourrait être maitrisé aussi facilement, par le simple vouloir d’un homme ou d’une femme de bonne volonté ? Car il se pourrait bien que ce soit une femme. Mais quel que soit l’heureux élu ou l’heureuse élue, j’espère qu’il aura ou qu’elle aura les compétences souhaitées. Je lui souhaite beaucoup de courage pour préserver l’intégrité de sa ville parfois menacée et pour garder le sens du raisonnable afin de ne pas se laisser aller dans une mégalomanie ruineuse comme celle de projets somptueux et inappropriés. Finance et raison : noblesse oblige. Je bois déjà à sa santé pour sa réussite, en espérant que le conseil lui restera solidaire ! »
-« Avec modération Marcel, attends encore un peu, on boira plus tard ! »
Paul Gamberini