Un jour j’ai rencontré un bonhomme qui avait un Esprit de Clocher. Il résidait dans un de nos petits villages du Bugey, lequel devait être doté d’une structure religieuse sérieuse puisqu’elle était capable d’entretenir une telle disposition d’esprit. Le cours de notre conversation me permit de localiser l’endroit, celui d’un petit hameau qui disposait d’une église modeste dont la flèche, légèrement penchée, pointait vers le ciel le symbole mystique de sa présence élancée. Cela à la manière d’une orientation destinée à favoriser l’élévation des esprits en recherche d’éveil, partagés entre le spirituel et le contemplatif. Aux dires de mon bonhomme, il suffisait de la fixer, bien haut, en écoutant le tintement régulier des cloches, pour ressentir une sorte de communion, capable de basculer son adorateur dans un état émotionnel digne d’un bienheureux. Voilà, c’était dit comme ça, simplement, mais avec beaucoup de conviction : Amen !
Pour ceux qui disposent de cette perception, il s’agit d’une grâce qui les éloigne de nos incohérences existentielles et qui les projette vers les douceurs d’espaces mystérieux, ouverts sur le calme, sur l’amour et sur des lumières d’éternité. Une croyance sublime, qui relève d’une spiritualité universellement répandue, que je respecte et que je pourrais partager si j’éprouvais la même sensibilité ? On ne sait jamais, mais là on touche à l’intimité de chacun d’entre nous : voilà ! Cela étant dit, il convenait d’élargir le champ de notre discussion car mon bonhomme (appelons-le Jules) avait d’autres choses à me dire pour justifier son Esprit de Clocher. De celui qui est partagé par certains nostalgiques de notre cher Bugey, historique, traditionnel, charmant, paisible, bucolique et convivial. Etc.
Donc, selon, Jules, la société actuelle serait partagée entre deux orientations opposées. Avec, d’un côté, ce qui subsiste de l’Esprit de Clocher, comme le sien, et de l’autre une dominante croissante qu’il nomme : l’Esprit Fibre-optique. Une appellation assez bizarre mais qui s’accorde assez bien avec le comportement de nos semblables, tous portés à faire converger leurs attentions sur des surfaces étroites, petites ou minuscules, de tous les écrans connectés possibles. Cela pour trouver ce qu’ils peuvent d’images ou d’informations qui éloignent leurs esprits vers tous les recoins perdus de la planète. Entre les tortues des Galápagos, les ours polaires ou la saison des amours chez les dragons de Komodo. Sans oublier les réseaux sociaux qui partent dans tous les sens d’un immense cafouillage. Autant dire que, Jules, en était fortement agacé au point d’en perdre son patois local. Pour bien marquer son attachement, aux valeurs de son village, il affirmait que le clocher lui servait de balise, autour de laquelle, et pendant des siècles, la vie s’était organisée pour rendre le comportement des villageois conforme à tout ce que l’on pouvait souhaiter d’attention et de relationnel. Quand chacun prenait conscience de la solidarité, de celle qui permettait de survivre et qui générait l’entre-aide, les plaisirs partagés ainsi que les malheurs à soulager. Quand les événements avaient le pouvoir de rassembler dans des ambiances diverses, comme dans celles des fêtes, qui généraient des sentiments d’appartenance et qui maintenaient un état d’esprit digne de celui de grandes familles, solidaires et chaleureuses. Voilà, brièvement, ce que pouvait dire, Jules, perdu dans les éclairs de ses regrets.
Quant à mon ami Marcel, il avait, aussi, son mot à dire : Ton, Jules, est émouvant, il correspond assez bien à ce que ressentent nos vieux bugistes. Quand l’Esprit de Clocher s’efface, peu à peu, pour céder la place à l’Esprit Fibre-Optique : c’est triste. Mais l’Esprit de Funérailles change, lui aussi, quand beaucoup souhaitent que leurs cendres soient dispersées, partout, comme celles de ma belle-mère, une femme qui n’avait jamais voyagé de sa vie. A son décès on a fait ce qu’elle voulait, depuis le sommet du Grand Colombier. Par un jour de grands vents en lui souhaitant bon voyage…Va savoir où elle est allée, maintenant, partie dans un souffle vers le Sud, très loin de son clocher ? Voilà : c’est comme ça que les choses changent !
Nouvelle de Paul Gamberini