La 1ère édition du Festival ‘‘Lire, écrire en Chautagne’’ organisé par l’association socio-culturelle ALCC s’est clôturée en octobre après un vif succès. Le journal Ballad’Ain de novembre vous a présenté le conte de Camille « L’ancien moi », ce mois-ci découvrez le conte de Rémi Beguin de Ruffieux (73) : catégorie adulte, nom du conte :
Tigrousse et les Groses
« Il était une fois Tigrousse, une adorable petite moustique qui habitait le bac de géranium de la mairie. Sa vie était douce et paisible : elle virevoltait à la recherche de chairs puis se reposait à l’ombre de son géranium, repue.
Avec ses 37 frères et sœurs qui vivaient dans les coupelles voisines, son jeu préféré consistait à rendre fous les grands et gros bonhommes roses. Elle les surnommait affectueusement « Les Groses ». Le jeu consistait à tourner de plus en plus vite autour de leurs bras, leurs jambes, leur tête et faire durer au maximum cette danse avant que les filles apportent la banderille finale.
Les garçons n’avaient aucun goût pour le sang : c’est triste, mais c’est la vie.
Elle connaissait, bien sûr, les nombreux dangers des Groses : les claques, les raquettes grillestick, les papiers gluants, les machines de la mort qui vous aspirent tel un trou noir et j’en passe. Plusieurs de ses frères et sœurs en avaient d’ailleurs fait les frais. Mais ces pièges ne faisaient qu’accroître l’intérêt du jeu pour Tigrousse qui se vantait d’être le Top Gun des géraniums.
Un jour, alors qu’elle suçait tranquillement son déjeuner, quelque chose d’extraordinaire se produisit : elle entendit une voix.
Une voix qui disait : « arrête de me piquer et je te laisse la vie sauve ».
Elle n’était pourtant pas Jeanne d’Arc.
Avait-elle abusé du sang de Grose prenant l’apéro?
Dans le doute elle arrêta à regret son repas et s’écarta mollement.
– « Merci petit moustique, je t’en serai redevable ! ».
Elle n’hallucinait pas, le Grose lui parlait !
Elle n’aurait jamais pensé ces choses capables d’intelligence.
– « Je m’appelle Etienne, et toi comment t’appelles-tu ? » poursuivit le Grose.
– « Tigrousse. C’est bien toi qui parles ? Et je te comprends ? » répondit elle timidement.
– « Oui. Il y a quelques années je me suis perdu dans le marais et on m’a retrouvé trois jours plus tard. Il paraît que je chantais à tue tête. Je n’ai aucun souvenir de ces 3 jours mais quand j’ai repris mes esprits je me suis rendu compte que je pouvais parler aux moustiques ! »
Tigrousse n’en revenait pas. La conversation qui avait débuté timidement pris une nouvelle tournure. Tigrousse voulait tout savoir de la vie des Groses. Elle devint rapidement amie avec Etienne et passait le voir chaque après-midi, passant par un petit trou de la moustiquaire de sa chambre pour éviter la grillestick de sa mère. Ils discutaient, écoutaient de la musique et jouaient. Tigrousse laissait de temps en temps gagner Etienne au concours de looping ou à cache-cache car le pauvre n’était pas très doué.
Un jour, alors que Tigrousse tourmentait une pauvre vache, le ciel s’assombrit d’un coup l’atmosphère était lourde. La chaleur intense. De toute sa vie, de ses 7 jours larvaires et 13 jours ailés, Tigrousse n’avait jamais vécu ça.
Des gouttes d’eau plus grosses qu’une cerise se mirent à tomber du ciel. Et rien à voir avec l’arrosage automatique des jardinières de la mairie, tout le village subissait ce déluge meurtrier !
Tigrousse slalomait à tire d’aile. Elle regrettait de ne pas avoir mieux écouté les conseils de ses frères aînés pour éviter les gouttes aussi grosses qu’une cerise. Fallait-il voler en 8 ?
Mettre les pattes sur sa tête ?
Non toujours pas… Ah oui !
Accompagner la goutte tel un roseau puis s’échapper, c’était ça !
Zigzagant, accompagnant et parfois fermant les yeux, elle réussit à trouver refuge sous une tuile… ouf !
Une fois l’averse terminée, Tigrousse sortit timidement une patte puis une aile avant de se décider à s’envoler.
Quand elle allait raconter ça à Etienne-Grase, il n’en reviendrait pas ! Même s’il se doutait que pour un Grose, une cerise ne devait pas paraître si grosse que ça.
D’ailleurs c’était lui qu’elle voyait au loin avec son sweat à capuche préféré. Tigrousse pris sa direction. Une moto électrique arrivait à vive allure avec son sifflement désagréable qui imitait si mal le bruit de moustique.
Le conducteur cherchait semble-t-il aussi à reproduire la démarche d’un moustique : il zigzaguait atrocement, simplement vêtu d’un slip. Visiblement ivre, il slalomait sur toute la largeur de la rue. Etienne, isolé par sa capuche et ses écouteurs, ne se doutait pas du danger qui le menaçait. Tigrousse fonça pour le prévenir, hurlant à tue-tête mais elle n’arrivait pas à dépasser la moto. Voyant que la dernière courbe menait l’engin droit vers Etienne, Tigrousse tenta le tout pour le tout et se jeta sur la tête du motard.
Celui-ci en était à la dernière strophe d’une chanson paillarde. Il goba Tigrousse d’un hoquet. Surpris par l’impact, il fit une dernière embardée et s’écrasa sur le monument aux morts.
Etienne avait entendu l’appel au dernier moment et avait juste eu le temps de voir le baroud d’honneur de Tigrousse, puis la moto le frôler. Tigrousse venait de lui sauver la vie !
Il en avait les larmes aux yeux.
Dans un geste de désespoir, il donna des furieuses tapes dans le dos au motard.
A force d’insistance, il finit par lui faire recracher le morceau ! Tigrousse était complètement engluée, inerte. Etienne sentait ses larmes affluer quand le corps du moustique soubresauta une première fois. Puis une deuxième fois. Puis ses ailes se remirent à s’agiter ! Tigrousse était saine et sauve.
Les deux amis tombèrent dans les bras l’un de l’autre, ignorant les sirènes et l’effervescence qui commençait à les entourer et les secouristes qui constataient le décès du pilote.
Moralité : on a toujours besoin d’un plus petit que soi ».
Rémi Beguin