C’est l’une des figures phares de cette 36ème édition des Epicuriennes de Belley : géographe, spécialiste du paysage et de la gastronomie, Jean-Robert Pitte est aussi un fin connaisseur de Brillat-Savarin. Auteur d’un tout récent ouvrage sur l’illustre personnage, Jean-Robert Pitte nous fait l’honneur de répondre à quelques questions en préambule de la conférence qu’il donnera le mercredi 2 octobre au Palais épiscopal.
Ballad’Ain : Pourriez-vous vous présenter / décrire votre parcours ? Votre métier ?
Jean-Robert Pitte : « Je suis géographe, discipline que j’ai enseignée toute ma carrière à la Sorbonne avant de présider cette université. J’ai eu la chance de voyager beaucoup sous toutes les latitudes pour mes recherches et pour enseigner. J’ai donné des cours et des conférences dans une trentaine de pays, en particulier en Mauritanie où j’ai enseigné deux années lors de mon service national en coopération et au Japon où je me suis rendu une cinquantaine de fois. Je préside depuis 2009 la Société de Géographie, la première créée au monde en 1821. Je suis membre depuis 2008 de l’Académie des Sciences morales et politiques, dont j’ai été secrétaire perpétuel de 2016 à 2022.
Ballad’ : Quel est le lien entre la géographie, le paysage et la gastronomie, vos 3 spécialités ?
Jean-Robert P. : J’ai choisi d’étudier la géographie après le baccalauréat sans projet professionnel très précis. Je voulais voyager et les métiers du tourisme me tentaient. Lorsque j’étais plus jeune, je voulais être cuisinier, sans doute parce que la bonne chère était une facette importante des traditions de ma famille. Ma mère adorait cuisiner, talent qu’elle avait acquis de sa grand-mère alsacienne qui l’avait élevée et qui était arrivée à Paris en 1871 alors qu’elle était cuisinière dans un village du Haut-Rhin. Finalement, je suis devenu professeur de géographie culturelle.
Le paysage est venu plus tard grâce à l’un de mes amis éditeurs qui m’a commandé une Histoire du paysage français qui a été publiée chez Tallandier en 1983 (et qui est toujours disponible). Dès que je suis devenu professeur titulaire en 1988, j’ai décidé de consacrer une grande partie de mes recherches et de mes enseignements à la gastronomie et au vin, deux de mes passions. C’est ainsi qu’en 2007, avec quelques amis, j’ai créé la Mission française du patrimoine et des cultures alimentaires que je préside toujours et qui est parvenue en 2010 à faire inscrire « Le repas gastronomique des Français » sur la liste du patrimoine immatériel de l’UNESCO.
Ballad’ : Pourquoi vous être intéressé à Brillat-Savarin ?
Quand est née l’idée d’écrire ce livre ?
Jean-Robert P. : J’ai écrit en 1969-70 mon mémoire de maîtrise sur les vins du Bugey et j’ai lu, à cette occasion, la Physiologie du goût avec délectation. Il se trouve que j’ai aussi des ancêtres bugistes qui étaient vignerons à Ambronay, mais ma famille n’avait conservé aucun lien avec cette branche. J’ai souvent relu et cité Brillat-Savarin et, à l’approche du bicentenaire de la parution de son livre et de sa mort, j’ai éprouvé l’envie d’écrire la biographie de celui que je considère comme un maître.
Ballad’ : Selon vous, quel a été l’apport de Brillat-Savarin à la gastronomie française, telle que nous la connaissons aujourd’hui ?
Jean-Robert P. : Il est le premier à avoir montré que la bonne chère et le bon vin ne relèvent pas d’abord du luxe ; ils sont au cœur de l’art de vivre en société et ce sont des facettes majeures de l’identité française. Il est un professeur de joie de vivre et d’empathie vis-à-vis de ses contemporains. Son ton parfois sentencieux est un trait d’humour et, en réalité, il ne se prend jamais au sérieux.
Ballad’ : Dans quel contexte Brillat-Savarin a-t-il écrit la Physiologie du goût ?
Jean-Robert P. : À la demande de ses amis, alors qu’il a déjà 70 ans. Ceux-ci lui demandent de coucher sur le papier les souvenirs des moments merveilleux qu’il a partagés avec eux ou qu’il a vécus et dont il les a entretenus tout au long de repas merveilleux. Il est mort un mois après la parution du livre.
Ballad’ : Que pensez-vous de la gastronomie française aujourd’hui ? Est-elle menacée ou au contraire peut-elle bénéficier de la mondialisation ?
Jean-Robert P. : La mondialisation est une chance pour la gastronomie, car elle nous donne accès à des produits et à des tours de mains culinaires qui viennent enrichir notre propre patrimoine.
En revanche, elle présente un risque de confusion et d’oubli des règles de la vraie bonne cuisine qui ne doit pas trop multiplier les ingrédients et rechercher l’harmonie. La culture contemporaine raffole de la déconstruction, ce qui donne des résultats déconcertants en cuisine. Hélas, beaucoup de critiques et de guides gastronomiques préfèrent les brimborions juxtaposés plutôt que les plats symphoniques. Vivent les vraies quenelles de brochet sauce Nantua !
Ballad’ : Connaissiez-vous les Epicuriennes de Belley et qu’attendez-vous de vos rencontres avec le public / les autres participants ?
Jean-Robert P. : J’en ai entendu parler, mais je n’y ai jamais participé. Je me réjouis de cette belle occasion de célébrer Brillat-Savarin en son terroir.
Ballad’ : Que vous inspire le thème : « la gastronomie : tout un apprentissage !»
Jean-Robert P. : C’est un superbe thème, car notre pays est trop réticent à l’apprentissage, par rapport à certains de ses voisins comme l’Allemagne ou la Suisse. Or, le meilleur moyen d’apprendre la cuisine et les métiers de bouche est l’apprentissage, ce qui n’empêche pas d’aller aussi à l’école. L’alternance est une voie d’avenir. Par ailleurs, la restauration et l’hôtellerie manquent cruellement de bras en France. Alors, encourageons les jeunes à embrasser ces métiers magnifiques et à créer, après apprentissage sérieux, leur propre entreprise ! »
Fabienne Bouchage
Les épicuriennes de Belley
+ d’infos : belley.fr