Vouloir associer le port de masques aux plaisirs de danses folkloriques ou à d’autres gesticulations stylées de bals masqués, c’est ajouter les mystères de dissimulations aux charmes de rencontres qui se bercent de musiques d’intrigues de séductions et de curiosités. C’est faire la part belle à l’imaginaire, parfois aux rêves, avant que l’illusion des fantasmes passagers se heurte sur la réalité des visages découverts. C’est alors que le ravissement ou que la déception se charge d’émotions ou de remerciements polis, parfois amers, à la façon de : « Ah, c’est vous, je m’en doutais, quel bonheur de vous reconnaître ! » ou, plus désobligeant : « Ah c’était donc vous, ah bon, et ben voilà, merci ! » Dans ce dernier cas, le plus dépité des deux se recolle le masque sur le nez avant de repartir à l’aventure dans les bousculades bruyantes du bal masqué, Ohé, Ohé : ainsi va la fête !
Malgré les déceptions ou les craintes possibles, la magie des masques se renouvelle sans fin et fascine toujours car elle appartient à l’histoire, aux traditions, aux pouvoirs ou aux pratiques animistes des populations les plus reculées. On la retrouve dans toutes les sociétés, partout, dans des ambiances qui vont du sacré jusqu’au plus profane des manifestations festives. Quant aux masques de Bergame la musique les accompagne et les fait virevolter gracieusement dans des danses dites « bergamasques » lesquelles ont inspiré de célèbres compositeurs comme Gabriel Fauré et Claude Debussy. Ecouter “Clair de Lune” de Debussy c’est être plongé dans la pâle lumière d’un jardin mystérieux où se révèlent, de façon fugitive, des ombres masquées surprenantes ou séduisantes qui s’estompent rapidement sur chaque note de musique… On écoute et on se laisse aller, c’est romantique, c’est mélancolique, et parfois, même, c’est profondément sentimental : un battement de cœur et voilà !
Tout ça pour nous ramener sur le sujet important qui nous préoccupe : le port de masques !
Et là, la ville de Bergame est encore concernée dès lors que la propagation du virus terrible qui nous a tous cruellement affecté (Covid-19) et qui continue de nous perturber, l’aura particulièrement impactée et cela de très bonne heure.
La musique des « bergamasques » s’est éteinte, soudainement, et les masques, d’une autre nature, se sont lentement propagés pour recouvrir des visages plus enclins à la crainte ou à l’angoisse qu’aux recherches d’intrigues ou de rencontres amoureuses.
Cependant, pour respecter les traditions propres à cette charmante ville on pourrait imaginer l’apparition d’autres personnages masqués, sortis tout droit de la “Commedia dell’arte”. Avec ses caractères marqués, proches de caricatures, lesquels avec leurs travers, leurs vices et leurs suffisances correspondraient assez-bien à la situation que nous avons vécue. Tous à même de nous faire une représentation tragique conforme à leur inspiration du moment. Cela avec le fameux Docteur Balanzone qui se targue de doctes compétences mais qui n’est qu’un opportuniste pédant, avec Colombine une collaboratrice rusée élevée en porte-parole pour raconter tout et son contraire, puis avec Arlequin le servant zélé et astucieux transformé en journaliste bien-pensant pour blablater de bonnes paroles soporifiques capable de rassurer le bon quidam moyen. Sans oublier le terrible Pantalone, l’homme d’affaire astucieux, dissimulé en catimini, toujours à l’affût d’opérations frauduleuses pour pouvoir grossir son énorme magot. Une représentation improvisée qui pourrait avoir un lourd déséquilibre si on n’avait pas, en opposition, l’émergence d’un brave homme de campagne, le fameux Brighella, plein de bon sens et généreux pour proposer ses tisanes simples et communes capables de réduire rapidement l’agressivité du virus impitoyable concerné, celui qui effraie tout le monde et qui réduit de façon inquiétante les activités économiques. Et puis comment pourrait-on oublier le brave Polichinelle, miraculeusement soigné par les tisanes de Brighella mais dont la nature de pauvre hère, un peu méprisé, ne lui permet pas de soutenir une cause lourdement critiquée par le Savoir de ceux qui Savent. Avec un tel tableau, bien planté, et après avoir assisté à une représentation proche de la pantomime improvisée, il serait facile d’en connaitre le dénouement attendu permettant d’exonérer tous les protagonistes de responsabilités. Ce qui prouve que la “Commedia dell’arte”, avec ses caractères de nature universelle s’adapte à toutes les situations, comiques ou tragiques. Mais souhaitons à la ville de Bergame de retrouver ses masques traditionnels et ses musiques bergamasques afin d’oublier, comme nous tous, le triste épisode que nous venons de vivre, révélateurs de nombreuses maladresses et de disfonctionnements.
Un hommage particulier à mes amis belleysans dont les origines italiennes s’attachent à la belle ville de Bergame !
Paul Gambérini