Il était une fois un gros chagrin d’amour qui s’effaçait doucement dans l’oubli d’un esprit apaisé.
Il essayait bien de survivre, en cherchant de vieilles émotions capables de lui donner un peu de vigueur, mais la passion retombée le noyait dans la mémoire diffuse des choses de la vie.
Désormais il se sentait délaissé, écarté et il en gardait une profonde amertume. Replié sur lui-même et entouré par de fraîches histoires, il essayait de marquer sa différence en rappelant qu’à lui seul il avait accaparé, pendant longtemps, de façon obsessionnelle, toutes les pensées et les préoccupations de leur hôte. Celles d’un brave garçon victime d’une rupture amoureuse et plongé dans un désarroi sentimental épouvantable.
Une situation qui pouvait aller jusqu’à lessiver son bonhomme avant de l’abandonner au bord du désespoir, le regard perdu, fixé vers les eaux glauques et glaciales d’une rivière, un soir d’hiver plongé dans un brouillard épais : ou la tentation terrible du néant. Plouf !
A cette époque le chagrin d’amour s’était retrouvé au paroxysme de son pouvoir, lequel aurait pu avoir des conséquences dramatiques si une petite étincelle de survie n’avait pas surgi, in extrémis, pour secourir un être désespéré qui s’abandonnait au tragique.
Et là notre chagrin avait été confronté à une petite lueur d’espoir, dessinée sur le sourire d’une âme bienveillante. Celle d’un homme arrivé de façon opportune pour encourager, soulager et faire aimer ce qu’il y avait encore à aimer dans ce bas monde. Toute une multitude de belles choses qui ne méritaient pas d’être ignorées ou sacrifiées et qui avaient, en elles même, toute la force et la patience d’adoucir ou de faire oublier les causes d’un acte insensé. Pour le garçon, enfin raisonné, c’était une véritable renaissance vers de possibles amours enchanteurs et inoubliables, ou vers les soleils multiples de l’existence.
Progressivement il allait découvrir de nouvelles aventures qui allaient assiéger son chagrin pour en diminuer l’intensité comme une flamme qui vacille et qui s’éteint doucement dans la mémoire du temps. Tout en vivant des moments de belles rencontres sans écarter les risques, toujours possibles de nouveaux chagrins d’amour…
C’est triste, mais c’est comme ça !
Voilà, dramatisé, ce qui peut arriver lorsque des êtres sensibles ou trop idéalistes se laissent influencer par de belles histoires éternelles, en lévitation dans des nuages vaporeux aux couleurs sublimes de paradis imaginaires. Des êtres qui peuvent se retrouver brisés, anéantis et désarmés par l’émergence d’un énorme chagrin. Roméo n’y survit pas, que pouvait-il faire d’autre sans sa Juliette bien que l’Italie ne manquât pas d’opportunités de toutes natures. Que ce soit d’art, de musique, d’humour, de joie de vivre, de cuisine, de chianti ou de « spumante » et de très nombreux visages engageants, aimables et souriants ?
Mais pour les plaisirs de l’émotion et ceux des larmes versées il faut parfois des drames donnant à l’amour une notion d’absolu ou une sorte de pureté immaculée sans tache, presque irréelle, qui ne peut s’exprimer qu’au travers de musiques d’opéras déchirants (merci à Puccini ou à Verdi) ou dans des écrits destinés à imprégner les plus belles pages de la littérature. Comme si l’humanité avait besoin de tels sacrifices pour donner aux vrais sentiments une noblesse particulière générée par de délicieuses alchimies.
Il est même possible que ces chagrins soient nécessaires pour prouver, si besoins étaient, que les relations entre les hommes et les femmes sont le plus souvent marquées du sceau de l’amour ouvert aux comportements les plus louables : de sincérité, de tendresse de douceur et de respect. On est loin de ce que l’on voudrait nous faire croire lorsqu’on écoute ceux qui ne voient dans ces rapports que brutalité, grossièreté et violence.
De ces caractères qui contrarient la nature des choses immuables ouvertes aux simples jeux de la séduction, lesquels font la beauté des rencontres, les plaisirs de la vie, la douceur des rêves et l’éveil des sentiments les plus fous.
Alors, chagrins d’amour ou blessures de cœur ?
S’ils doivent exister pour prouver que les passions humaines permettent de vivre les moments les plus intenses de l’existence, acceptons-en les risques. Tout en sachant que ceux-ci subsistent, à jamais, tristement, un peu ou beaucoup : il suffit de ne pas trop y penser et de vouloir aimer de nouveau, encore et toujours !