Voilà ce que l’on entend parfois lorsqu’un vieux bonhomme fait part de son âge, avancé, lors d’une rencontre amicale. Il le fait fièrement, en se donnant des allures de jeunesse retrouvée et courageusement entretenue par des séances hebdomadaires de gymnastique douce pour vieilles arthroses fragiles à décoincer. La remarque portée se veut souvent courtoise, facile à bredouiller en grimaçant gentiment, sans avoir la moindre idée de ce que pourrait être la vraie correspondance entre le physique du bonhomme et le cumul de ses années écoulées. Fait-il plus jeune ou plus vieux que son âge, aucun barème précis ne peut aider à définir son état. Il ne s’agit-là que d’une appréciation facile, destinée à faire plaisir et éventuellement à faire remonter un peu de sève printanière dans le cœur sensible et toujours amoureux du sujet émoustillé. Les sourires éclairent son visage, ses rides s’adoucissent, ses moustaches frémissent et ses mains cherchent à ajuster les quelques poils robustes qui trainaillent ça et là, ainsi que les deux ou trois cheveux blanchis qui subsistent encore, héroïquement, dans sa tignasse dégarnie. Mais avec de tels compliments la journée s’annonce très belle et c’est bien là l’essentiel !
Pour ma part, il m’arrive, également, d’entendre de telles remarques, que j’écoute avec une distraction amusée ou avec le plaisir que l’on peut éprouver sagement, sans oublier d’apporter des précisions adaptées. En faisant remarquer que la comparaison pourrait être faite avec la façade d’une vielle maison encore présentable, avec ses quelques fissures et son crépissage terni par les années. Tout en précisant que si on devait visiter l’intérieur de cette maison, on y trouverait sûrement des canalisations bouchées, des sanitaires déglingués, une aération colmatée et des lumières clignotantes de ses vieux contacts électriques bousillés. Pour ne citer que l’essentiel en ajoutant que si l’ensemble pourrait être entièrement restauré et faire partie d’un patrimoine rénové, il nous serait difficile, voir impossible, d’avoir physiquement accès à de telles possibilités. Il ne nous resterait plus que les illusions en compensant les altérations du temps par les divagations d’un état d’esprit rêveur ou inconscient, entre une jeunesse éternelle et un coup de vieux tristounet passager et plongé dans le dépressif des regrets. A moduler, au choix !
Mais c’est là qu’intervient une nouvelle nuance de mesure qui nous est de plus en plus souvent proposée et qui s’appelle : le ressenti. Une façon de faire comprendre que s’il fait chaud ou froid, le ressenti de chacun d’entre nous est très différent. Entre ceux qui suffoquent de chaud par 20 degrés et ceux qui grelottent, coincés entre une bouillotte et une tisane au miel. Cette notion de ressenti pourrait parfaitement s’adapter à notre propos en exprimant les remarques suivantes : « Oui, bon moi j’ai 80 ans mais j’ai un ressenti de 65 ans, enfin pas tous les jours ! Parfois je me sens plus près des 85 ! » Tout ça est assez amusant et là encore il convient d’écouter mon ami Marcel :
« Faire ou ne pas faire son âge, voilà la question ? Aucune potion ne peut rajeunir son bonhomme alors vivons joyeusement le moment présent et conservons les meilleurs souvenirs de nos belles rencontres. Quant au ressenti le seul que je pourrais exprimer se limite aux 2 mois de ma naissance de prématuré, voilà. Mais après tout et avec une vie bien remplie et un humour intact, je suis très heureux de faire mon âge ! »
Paul Gamberini