‘‘Les feuilles mortes se ramassent à la pelle…
Les souvenirs et les regrets aussi’’
Une chanson bien connue laquelle nous plonge souvent, tristement, dans une mélancolie profonde, là où s’éveillent les nombreux souvenirs émotionnels de nos existences heureuses ou bousculées. Ceux de nos propres feuilles mortes, d’histoires passées, qui n’en finissent pas de s’entasser dans des cumuls de regrets et qui résistent encore et toujours aux vents froids de l’oubli. Souvent des perles de vie, de moments intenses, de jeunesse, de vagabondages, de rencontres et de bien d’autres choses, nombreuses, bercées par la douceur de la musique et ravivées par la poésie d’un texte émouvant. De tout ce qui touche à notre intimité et qui se perd dans un imaginaire teinté de nostalgies. Et c’est ainsi qu’il suffit parfois d’une seule chanson, comme celle-ci, interprétée par Yves Montand, pour que l’on se laisse aller dans des rêveries qui caressent la mémoire de nos plus belles émotions….
Voilà une façon un peu particulière d’évoquer les feuilles mortes pour saluer l’arrivée de l’automne avec ses belles colorations passagères, après l’exubérance de l’été et avant le dénuement annuel d’une nature, toute triste, bientôt livrée aux rigueurs de l’hiver. Une progression saisonnière souvent évoquée pour la comparer avec celles de nos existences de petits bonhommes, lesquelles pourraient très bien être découpées en quatre saisons successives. Du printemps de la vie jusqu’à son terme inexorable, là-bas, tout au fond de l’hiver. J’en ai pour souvenir les réactions d’un médecin d’origine vietnamienne que je consultais et à qui je soumettais quelques petites misères de mobilité. Il me regarda sérieusement et illuminé par la grande sagesse d’un Bouddha calme et serein il me répondit avec les intonations inimitables d’un accent authentique : « Vous savez que les feuilles mortes ne remontent jamais à l’arbre. » Ce jour là, son diagnostic imagé me fit sourire et j’en acceptais les connotations philosophiques lesquelles eurent sur moi un effet presque thérapeutique.
Traité par le réalisme de mon âge et de son automne avancé, je m’en sentais presque ragaillardi. C’était amusant et je pensais que l’on pourrait très bien associer la vie à celles d’espèces végétales appropriées entre le printemps d’une jeunesse toute fraîche, toute belle, dynamique et enthousiaste et l’hiver tristounet de vieux pépères grincheux ou rhumatisants. En passant, bien sûr, par un été radieux et un automne généreux. Avec, chaque fois, un dépouillement plus ou moins rapide des feuilles mortes, tombées de nos vieillissements progressifs, lesquelles ne remontent jamais à l’arbre.
Celles de notre enfance pourraient être semblables à celles de buissonnants, d’arbustes ou de grimpants qui célèbrent le printemps avec la grâce de leurs belles fleurs et les senteurs de leurs parfums délicats, tous développés sur de fragiles végétaux, embellis par les reflets brillants de rosée matinale : ou le symbole de belles jeunesses. Quant aux dures années actives de nos engagements professionnels les feuilles mortes d’arbres robustes et somptueux de l’été, comme celles de chênes, de saules pleureurs ou de bouleaux, devraient ressembler à celles de nos épuisements assujettis à nos longues années laborieuses. L’automne avec ses feuilles mortes de pommiers et d’autres fruitiers exténués de productions pourraient bien accompagner longtemps nos retraites. Il ne resterait plus que l’hiver avec ses quelques feuilles mortes, rares, encore accrochées aux vieilles branches avant d’être dispersées par des vents froids et avant l’apparition d’un grand sapin révélateur, un arbre différent et presque officiel de majesté, sans feuillage, juste pour nous signaler que l’on devrait continuer à croire au Père Noël…
Et pour ajouter, encore, une petite touche de mélancolie : écoutez ‘‘Les Feuilles Mortes.’’
Paroles de Jacques Prévert / Musique de Joseph Kosma.
Paul Gamberini