De celles de vieilles voitures que l’on retrouve dans des musées ou des expositions particulières, là où elles respirent l’huile de vidange, gardent des senteurs de gasoil, d’essence ou celles de vieux fauteuils fatigués par des kilomètres de bonnes ou de mauvaises conduites.
Avec des habitacles déglingués souvent imprégnés de fumées aux odeurs de Gitanes ou de Gauloises, parfois de Boyard Maïs, chargées en nicotine pour les plus toussoteux bronchitiques d’une époque toute en cigarettes. En les contemplant elles éveillent en nous des sensibilités qui s’apparentent à une forme de tendresse, tant elles peuvent être émouvantes.
Avec elles ce sont des histoires de conducteurs distraits, nerveux ou même passablement imbibés qui se révèlent. Quand ceux-ci pouvaient rouler sans craintes de contrôles abusifs ou d’autres bidules répressifs, quand ils éprouvaient pour la bagnole des sentiments qui allaient de l’admiration à l’envie, de la fascination à la passion en passant par des impressions enthousiasmantes de grandes libertés.
Celles de pouvoir prendre le volant sans appréhension, à tout moment, puis de partir à l’aventure des routes, des chemins, des rêves et de l’évasion vers les horizons les plus lointains. Ceux qui s’ouvraient sous le soleil des vacances ou sous les lumières éblouissantes des rivages marins. Certes, ce n’était pas des tapis volants, mais d’extraordinaires vecteurs qui permettaient de nourrir l’imaginaire, la fierté et l’audace des voyages intrépides.
Leur technicité ne surprenait pas car sous leur capot relevé on identifiait facilement les éléments qui combinaient la magie de leurs mécanismes dont les défaillances avaient des corrections accessibles.
On parlait de leurs problèmes comme on aurait pu le faire pour des maux personnels car leur importance s’apparentait à une indispensable complémentarité, tel un membre disponible qui s’ajoutait à notre mobilité. Chacun dépendait de sa bagnole, de sa caisse, de son char, de son carrosse ou parfois même de son tas de ferraille pour assumer son quotidien et pour pouvoir exprimer son bonheur d’exister. Afin de retrouver l’esprit de cette époque, il me suffisait d’imaginer ce que pourraient bien se raconter trois vieux véhicules perdus dans l’espace soigné d’un collectionneur attentionné.
Il y a là une, 2 CV Citroën, une, Simca 1000, et une, 4 CV Renault, et bien sûr, à la manière de trois vieilles grand-mères passablement fatiguées, elles ont des tas de choses à radoter. La 2 CV ou « la deux pattes » pour les connaisseurs évoque sa relative fragilité :
-« Moi je suis heureuse d’avoir pu faire tout ce qui m’était demandé, malgré ma simplicité et une motorisation un peu poussive. Quand j’arrivais à démarrer il y avait tellement de vibrations que je me demandais chaque fois si ma carcasse allait pouvoir résister. Mais j’ai quand même rendu de nombreux services pour différents conducteurs qui m’ont baladé partout, dans tout le Bugey. Ils ont tous été attentionnés à mon égard et avec eux c’était merveilleux ! »
-« Moi, dit la Simca 1000, je n’ai eu affaire qu’à de jeunes amoureux et je peux vous garantir que j’en ai entendu de belles, de promesses, de serments et de murmures. Si mes vieux ressorts pouvaient parler, alors-là, je ne vous dis pas ! »
-« Et moi, renchérit la 4CV, je n’ai surtout connu que Marcel, un conducteur fantaisiste très grand de taille qui avait beaucoup de mal à rentrer dans mon habitacle, il lui aurait fallu un chausse-pied. Sa tête cognait dans le plafond et il conduisait au hasard, souvent en état d’ébriété. Il tenait toute la route le bougre, heureusement que je ne suis pas trop large, mais quelles frousses j’ai eu avec lui. Enfin ce ne sont que de bons souvenirs, sacré Marcel ! »
Elles auraient pu en raconter bien d’autres quand chaque conducteur avait la satisfaction de sa conduite en écoutant le ronronnement bien huilé qui accompagnait son bonheur d’évasion. L’ambiance était mécanique avant qu’elle ne devienne complétement électronique.
C’est alors que la poésie qui bordait les routes d’images et de rêveries, s’est estompée pour laisser surgir la sévérité des G.P.S, celle des limitations de vitesse, des radars et des sanctions disciplinaires.
Mais il arrive parfois qu’un bon vieux nostalgique, qui roule essence ou gasoil, la clope au bec, se laisse encore aller dans son tacot, sans excès et sans crainte, dans la douceur d’une conduite contemplative ou dans la simplicité d’un plaisir de vie, de charme et d’inestimable liberté retrouvée.
Merci aux vieilles voitures pour tout ce qu’elles nous ont procuré.
Paul Gamberini