Il m’arrive de rencontrer un copain balloté entre deux décisions plus ou moins farfelues, incapable de faire le choix salutaire à sa paisible existence. Un comportement qui implique nos amitiés dans des discussions sans fins livrées aux risques absurdes d’incertaines conséquences. Dois-je l’influencer pour le retrouver, plus tard, vert comme une vieille rancune fanée, parasité à jamais de reproches véhéments ? Et cela pour l’éternité tant les sujets abordés sont délicats à décortiquer. Aussi, pour des raisons qui me sont propres, il m’est souvent difficile d’apporter la moindre recommandation au copain concerné. Lequel demeure hésitant comme un vieux caméléon bariolé sur sa branche fragile ou assis, grimaçant : « le cul entre deux chaises ».
Cette dernière expression, parfaitement imagée, illustre assez bien l’importance d’un postérieur tourmenté dans ces moments intenses de grandes cogitations intellectuelles. Un peu comme si les efforts physiques consentis, plié dans une position tordue, le cul entre deux chaises, pouvaient favoriser la naissance d’une possible décision. Par charité, chrétienne ou naturelle, j’imaginais que la présence d’un strapontin placé entre ces deux chaises pourrait adoucir l’inconfort de ces longs moments d’hésitation.
Un support intermédiaire ouvragé selon les circonstances que l’on pourrait baptiser : tabouret de réflexion ou accessoire décisionnel.
Une idée originale qui pourrait séduire l’un de nos ébénistes, désireux de rapides et de fructueuses réussites économiques. Tenant compte des soucis de développements qui me préoccupent je crois qu’avec un peu de fantaisie, on devrait pouvoir envisager la création d’une très belle et très prospère entreprise, dont le siège social pourrait se placer sous l’emblème hautement symbolique de : « Société Bugiste du Cul-Entre-Deux-Chaises ». Ou S.B.C.E.D.C
Et que pourrions-nous donc y fabriquer de si fabuleux dans cette société futuriste ?
Tout y est envisageable, surtout quand on connait les nombreuses hésitations de ce bas monde lesquelles paralysent tous les aspects de notre humanité. Qu’ils soient d’ordres sentimentaux et innombrables, politiques et permanents, religieux et éternels, familiaux et constants ou même domestiques et assommants, etc.
Tous ont cet extraordinaire pouvoir de nous placer hésitants, le cul entre deux chaises, avant de nous plonger dans l’expectative de décisions impossibles. On découvre donc, là, une niche marketing extraordinaire, étonnement délaissée par nos audacieux entrepreneurs. Aussi, fort de cette révélation, il est m’est permis de me laisser aller à la faiblesse imaginative de mon tempérament pour deviner l’aboutissement possible de cette innovation dans un atelier futuriste.
Ainsi, là, j’admire un strapontin pour décision amoureuse. Sa confection a fait l’objet de soins et de préparations particulières, avec une délicatesse propre à adoucir les gesticulations angoissées d’un fessier émotif extrêmement tourmenté. La structure est solide et le confort est assuré par un revêtement épais de velours rouge. Les basculements vers les chaises périphériques sont analysés par un système sophistiqué, précis, qui comptabilise les tendances alternatives aidant, ainsi, à la décision.
Un sujet aimerait-il plus Antoinette que Paulette, une longue séance sur ce tabouret devrait lui permettre de déclarer son amour avec la fougue de celui qui vient de découvrir, enfin, l’objet d’une passion exaltante.
Ouf, c’est bien Paulette qu’il aimait !!!
Plus loin je découvre un tabouret pour décisions stratégiques ou politiques.
Son système de balancier automatique et rapide engendre des oscillations allant de droite à gauche, comptabilisées par des capteurs sensitifs qui mesurent les tendances symptomatiques d’un gros popotin d’opportuniste ambitieux.
Un petit modèle de campagne devrait pouvoir convenir en période électorale quand l’électeur lambda hésite encore devant l’isoloir d’une mairie bucolique.
J’admire aussi le fameux tabouret religieux, sobre de conception, coincé entre deux chaises d’église, lequel permet aux angoissés de surnaturel de savoir s’ils doivent croire ou ne pas croire ?
La simplicité monacale de sa conception favorise les méditations révélatrices. Une version destinée à l’exportation est parfaitement identifiée avec son inscription de :
“To believe or not to believe, that’s the question?”
D’autres modèles permettent de satisfaire à toutes les composantes d’une société perplexe et foncièrement indécise. Impressionné par cet extraordinaire potentiel il ne me restait plus qu’à choisir le lieu qui pourrait être le mieux adapté pour une telle entreprise locale.
Je pensais à Artemare, localité hésitante, située entre deux régions : doit-elle se tourner vers son extension naturelle du Valromey ou doit-elle se confondre dans l’absorption conquérante du Bas-Bugey ?
Il en est de même pour Virignin, gros village indécis partagé entre ses attirances naturelles vers la Savoie ou vers sa complémentarité belleysanne ?
Leurs atermoiements légitimes devraient les disposer, l’une comme l’autre, à accueillir la fameuse : « Société Bugiste du Cul-Entre-Deux-Chaises. » Un choix qui me laisse, moi aussi, avec le : cul entre deux chaises. Mais j’aime quand même bien le Valromey…..
Bon vent à la S.B.C.E.D.C.
Paul Gamberini