Un titre qui pourrait étonner si on n’entendait jamais parler de « France Profonde ».
Une expression chère à ceux qui surnagent en surface, dans des eaux calmes, claires et douces à la peau et adorablement réchauffées par le soleil éblouissant de leurs privilèges ou de leurs suffisances. De ceux qui se proposent, parfois, d’aller découvrir les espaces sauvages et arriérés de nos vastes territoires déshérités. Une conception des choses qui pourrait s’apparenter aux propositions d’un club de vacances guindé, aux G.O bronzés, à même de fournir à ses hôtes enhardis les équipements de plongée nécessaires pour aller voir comment survivent les oursins, les étoiles de mer ou même s’étonner du déplacement des crabes dans des entrelacs de rochers couverts de moules. Sans parler des grandes profondeurs, pour les plus téméraires, curieux de dangereuses proximités telles que squales, barracudas et autres créatures menaçantes des mers tropicales. Enfin là où les techniques sophistiquées et les paliers de décompression permettent d’entretenir des récits fantastiques d’aventuriers bardés d’illusions de courage et gonflés aux limites extrêmes de leurs égos sous pression, à 200 bars minimum.
Tout ça est assez amusant et on pourrait se demander ce qu’aurait bien pu découvrir ce genre de zigotos s’ils s’étaient retrouvés, plongés par erreur à une certaine époque, dans les mystères de notre bon vieux Bugey Profond ? J’imagine assez bien, au temps béni des 403, un couple débarquant sur les routes sinueuses de notre région sauvage. Lui est cadre supérieur, dynamique et décideur énergique ; elle est plus ou moins philosophe illuminée et fascinée par des conceptions sociétales complétement farfelues. Ils sont accompagnés de leurs deux moutards à lunettes, garçon et fille, lesquels ont tout appris de nos campagnes dans des encyclopédies coloriées.
Autant dire qu’ils sont perturbés en découvrant la réalité de notre monde rural car ils se sont paumés après avoir traversé le Bugey plat. Les voilà maintenant dans les espaces resserrés de la Cluse des Hôpitaux où ils commencent sérieusement à paniquer. Finalement, avec une audace d’aventuriers courageux, ils se retrouvent dans l’un de nos petits villages. Ce pourrait être Chaigneu-la-Balme, Cuzieu ou même Marignieu, et là ils sont surpris par ce qu’ils découvrent : des troupeaux de vaches partout, des poules et même des oies ou des canards qui occupent la route départementale puis des tas de fumier fumant qui jalonnent le parcours.
Ils décident alors d’établir un contact avec les autochtones et ils tombent sur un fermier naturellement courtois mais méfiant qui les considère avec l’œil malicieux de celui qui connait bien son monde. Naturellement le brave homme se veut immédiatement accueillant et pour satisfaire une demande pressante, il conseille à la dame les conforts inestimables de sa cabane du fond du jardin.
Elle en ressort précipitamment, couverte de mouches et parfumée aux bonnes odeurs d’un assainissement familial naturel et longuement éprouvé.
Au bonhomme il offre à boire une piquette décapante dans un verre culotté par des décennies de bons et de loyaux services rendus à la gloire des futailles. Puis, pour forcer l’hospitalité il leur propose une bonne soupe et une bonne nuit de sommeil dans la grange en leur garantissant la paille et la chaleur du bétail domestique à proximité. Terrorisés les visiteurs s’enfuient et arrivent enfin à Belley où ils découvrent un semblant de civilisation.
Là ils dénichent un hôtel puis, pédestres, ils parcourent la ville encore solidement attachée à ses commerces de proximité. L’impression qu’ils retiennent de tout ça c’est qu’ils doivent absolument intervenir afin de secourir les populations visitées pour les faire émerger dans une ambiance beaucoup plus avancée. De retour chez eux ils en parlent à leurs amis plus ou moins responsables de machins administratifs et depuis ce temps-là tout se transforme rapidement, avec des tas de contraintes, des règlements, des organisations, des interdictions, des créations de communautés, des schémas directeurs, en autant d’entraves qui s’acharnent à museler nos libertés.
Même mon ami Marcel, consulté sur le sujet, en garde une forme de ressentiment qu’il n’hésite pas à exprimer : -Oui, c’est vrai que le Bugey est beaucoup moins profond qu’avant mais s’il devait remonter davantage vers la surface alors là je m’expatrierais rapidement chez les Papoux les plus primitifs pour jouir de ma liberté dans un contexte sain et complétement naturel. Puissions-nous conserver encore longtemps ce qui nous reste de ruralité et de convivialité !
Merci Marcel !
Paul Gamberini