Puis un jour on décida de célébrer les parapluies. Pourquoi pas ? Un événement étrange et important car il s’agissait de remercier, de façon plus ou moins symbolique, toutes les protections garantes de notre bien-être ou de notre sécurité, ainsi que tous les mérites de nos innombrables formalités administratives.
Une grande parade donc, dans laquelle chacun était invité à défiler de façon prudente avec son parapluie bariolé, ouvert aux couleurs de ses propres garanties d’assurances multiples, de couvertures de risques ou de certificats d’aptitudes particulières. Enfin de tout ce qui permettait de dormir pénard et sans angoisse traumatisante, sans menace de sanctions ou de reproches, dans nos sociétés avancées, bien organisées et bétonnées par des réglementations solides.
Finies les aventures folles, les initiatives audacieuses ou les entreprises à hauts risques, désormais tout ce qui dérogeait d’une existence extrêmement prudente devait être sanctionné ou examiné par des assurances pouvant prendre le relais de nos irresponsabilités : celles d’initiatives malheureuses ou d’imprudences fantaisistes.
Ainsi, à force de se prémunir à l’excès, il devenait difficile de monter sur une échelle sans avoir préalablement obtenu le certificat professionnel adapté. Seul le fameux permis à points d’escabeau, en trois volets pour deux, trois, ou quatre marches d’escalade périlleuse, pouvait permettre ce genre d’aventure.
C’est dire si la société prenait grand soin de nous afin de nous éviter des traumatismes irréversibles et de nous préparer à de longues retraites de vieux bonshommes aux tibias soigneusement préservés pour de lointaines fouilles archéologiques.
Pour anticiper je me laissais aller à imaginer ce que pourrait être la tenue d’un telle parade de parapluies.
Donc passées quelques ombrelles à la gloire de nos compagnies d’assurances, aux vertus multiples de couvertures de risques d’accidents, de conduites, d’incendies, de vols, de responsabilités civiles, de santé et même d’obsèques, toutes portées solidement par des personnages graves et sérieux, on voyait poindre quelques convalescents porteurs de parapluies verts aux couleurs de notre inestimable carte vitale.
Les mutuelles suivaient avec des teintes et des dimensions différentes de parapluies, des plus grands au plus petits, selon les tarifs de couvertures proposées. Les plus onéreuses et les plus aguichantes d’entre-elles nous invitaient presque à foncer fissa aux urgences pour un contrôle médical. C’est dire ! Puis venaient les ombrelles plus martiales portées par des militaires valeureux qui montraient la fragilité de leurs protections tourmentées par des excès de violences inimaginables. Et là c’était très inquiétant.
Enfin venaient tous les parapluies d’administrations nombreuses lesquels arboraient des formulaires ou d’autres documents compliqués qui permettaient de faire progresser des dossiers dans des méandres inextricables de systèmes procéduriers. De nombreuses associations s’ajoutaient à la parade avec des ombrelles couvertes de recommandations multiples destinées à nous protéger de risques terribles dignes de véritables films catastrophes. Bref, la panoplie était complète et tellement compacte que le quidam moyen devait se retrouver coincé dans un carcan sécuritaire capable de le rendre aussi béat et inoffensif qu’un gros bébé tout neuf bien emmailloté.
Cette exubérance de parapluies me renvoyait à une autre époque, celle où le courage, l’aventure, l’endurance et la témérité avaient encore leur plus totale liberté. Quand la prise de risque, inscrite dans le tempérament de personnages fabuleux, pouvait s’exprimer et faire aboutir des ébauches de machines ou de bidules destinés à servir de bases à des développements futurs extraordinaires. Qu’auraient donc pensé les pionniers de l’aviation, tous ces merveilleux fous volants ou ces bricoleurs géniaux de machins mécaniques, s’ils avaient dû être confrontés aux entraves protectrices actuelles, avant de pouvoir se livrer aux tentatives rocambolesques de leurs audacieuses entreprises.
Peut-être auraient-ils ouvert un gros parapluie et se seraient contentés d’attendre que le ciel de l’audace se dégage, un jour, afin de donner libre cours à leurs prouesses innovantes. Et là, malheureusement, il ne se serait rien passé.
Une fois de plus je questionnais mon ami Marcel à ce sujet : « Pour préserver toutes nos protections il nous faudrait un dirigeant muni d’un très très grand parapluie, car, par les temps qui courent, où la concurrence est féroce, on risque bien de subir, rapidement, les effets dévastateurs d’une grosse chasse à la baleine ! Baleines de parapluies, bien sûr ! A moins que le courage du risque et de l’entreprise ne renaisse à nouveau ! »
Merci Marcel !