Revivre en autarcie : voilà un mode d’existence qui pourrait bien paraître étrange et suranné dans un environnement complétement ouvert et qui étale, dans chaque boutique, la disparité créative de tous les continents. Que ce soit en matériels, en fringues, en bagnoles ou en victuailles, on est désormais plongés dans l’universalité de ce qui se fabrique partout, dans tous les recoins perdus de la planète. Et si on s’amusait à faire l’inventaire de tous les bidules qui encombrent nos baraques, on serait surpris de constater avec quelle facilité l’astuce commerciale d’un business rentable et bien huilé, s’ingénie à nous refiler le superflu de choses qui fragilisent nos étagères et qui disparaissent sous la poussière du temps qui passe. Tout ça avant de le retrouver, un jour, dans les recyclages d’un système voué à une consommation débridée ou sur les étalages d’une brocante de quartier.
Pour alimenter cette énorme machine, qui approvisionne des surfaces entières de tentations savamment exposées, il y a une toute une flopée d’organisations puissantes qui ont fait mains basses sur le génie créatif et sur l’innovation générale, afin de prétendre au bonheur total de l’humanité. Désormais « Business Is Business », c’est lumineux, c’est extatique, c’est irrésistible au point de nous rendre super heureux avec des tas de marchandises ou de machins-trucs à boutons qui clignotent de partout.
Qu’ils en soient remerciés et pour encourager d’aussi belles entreprises prions pour eux et pour nous, pauvres consommateurs !
Voilà c’est dit, merci et Amen !
Mais il arrive parfois que de vieux nostalgiques gâteux se mettent à grogner, depuis leur retraite de bonshommes fatigués, pour rappeler que c’était beaucoup mieux avant, au bons vieux temps où tout était balisé, ou presque, par les frontières serrées d’un Bugey autosuffisant. Quand on puisait sur nos propres ressources pour survivre honorablement, ou quand la « Noble Tomme de Savoie », elle-même, se sentait étrangère et avait des difficultés à se trouver une place d’accueil sur les rayonnages garnis de nos vieilles épiceries de centre-ville. Pour ne citer que les victuailles, certes, car en ce temps-là (Un début qui s’ouvre comme une page de la bible), notre terroir, avec la totalité de ses parcelles cultivables soigneusement travaillées et avec ses nombreuses bestioles domestiques, arrivait à satisfaire aux besoins alimentaires, essentiels, de notre société. Tout cela était placé sous l’emprise de solides et de laborieuses conceptions paysannes.
L’esprit de Brillat-Savarin, en fin connaisseur, s’en est largement inspiré pour faire rayonner les bienfaits de nos habitudes culinaires qui plongeaient leurs racines dans l’univers séculaire de nos arrières grand-mères. De ces vieilles traditions dont les effets mijotaient doucement dans des sauces odorantes, chauffées aux feux de bois, dans des cheminées qui noircissaient les années et qui laissaient des impressions de douceur, de calme, d’abondance et d’éternité. Mais tout cela a été balayé et a complétement basculé dans un grand mélange qui ne nous laisse plus que quelques traces d’un semblant d’autarcie.
Doit-on s’en inquiéter ? Le mal est fait et cela pourrait être irréversible si on ne voyait pas ressurgir, avec bonheur, de belles initiatives de pionniers locaux qui relèvent le flambeau et qui remettent au goût du jour l’attractivité productive de notre bonne vieille terre bugiste, dont celle des truffes. Ceci afin de proposer un tout petit pourcentage d’autarcie, lequel ne demanderait qu’à croitre. Pour encourager de si belles initiatives, j’imagine assez bien que l’on puisse mettre en place un système savant, pouvant permettre, à chacun d’entre nous, de mesurer son propre degré d’autarcie, à la manière d’une analyse médicale, histoire d’en améliorer le résultat.
Mon ami Marcel ne devrait pas me contredire. Un degré d’autarcie, me dit-il, c’est une très bonne idée d’autant que si la moyenne locale ne devrait pas dépasser les 10 ou les 15% de nos besoins alimentaires, moi je devrais me situer plutôt vers les 80%. Pour obtenir cet excellant résultat je bricole mon potager, j’élève des lapins et je nourris un cochon, Jeannot, lequel me grogne toujours après, comme si je le regardais en songeant à ses jambons, à sa fricassé et à ses boudins. Mais surtout, pour maintenir cette performance, je consomme du rouge et un peu de blanc, ceux de nos A.O.C, avec modération bien sûr. Car si je forçais un peu la dose je crois que j’atteindrais très facilement les 100% d’autarcie.
Merci Marcel et merci à ceux qui œuvrent pour plus d’autarcie dans notre beau Bugey !