Il était une fois une administration qui n’administrait rien du tout. Chargée par des instances sérieuses et responsables de trouver ce qu’elle pourrait bien encore administrer de choses à administrer elle passait son temps à s’informer, à réfléchir et à se concerter afin de prendre des décisions concernant des sujets oubliés par l’administration.
Tout un programme.
Pour venir à bout de cet important dilemme elle disposait d’un président, d’une kyrielle de vice-présidents, de chefs, de sous-chefs et de préposés, de conseillers et même de prestataires sérieux qui alignaient des tas d’études qui ne débouchaient strictement sur rien.
Il s’agissait d’un apanage important de bonshommes soigneusement cravatés, costumés, porteurs de lourdes serviettes et affublés de mines patibulaires destinées à impressionner gravement le moindre des quidams du secteur.
Lesquels se demandaient parfois ce qu’on pouvait bien fabriquer de beau dans cette étonnante administration pléthorique.
Le temps passait et un jour un petit malin décida d’en apprendre davantage. En guise de sauf-conduit, pour pouvoir pénétrer dans l’établissement concerné, il se transforma en livreur de pizzas et avec la magie extraordinaire d’une Quatre saisons et d’une Quatre fromages odorantes, il fut surpris de voir qu’il pouvait se balader n’importe-où.
Ce qu’il découvrit alors le stupéfia. Tout d’abord il constata que le pouvoir d’attraction de la machine à café agglutinait autour d’elle une ribambelle d’amateurs, lesquels prenaient le temps de siroter de fabuleux aromes destinés à stimuler les ressorts distendus de leur imagination. Puis il réalisa que l’ensemble du personnel, ou presque, était en réunion dans plusieurs salles et que l’ambiance calme et feutrée ressemblait à une prière silencieuse vouée aux anges d’une possible illumination. Ce qu’il put comprendre, de la machine à café, c’était que l’activité principale de cette administration consistait à se réunir en meetings, en discussions innombrables, en commissions diverses et même en somnolences pour les plus âgés, afin de faire jaillir la lumière inattendue d’une soudaine révélation.
Depuis longtemps de nombreux sujets avaient été examinés, depuis le passage des cigognes jusqu’aux nids d’hirondelles en passant par la croissance des morilles en terrains humides et par l’intimité des sangliers en période de rut ; mais rien de vraiment concret n’avait accroché ou suscité le moindre besoin d’une administration particulière : un échec total. Ce qu’il pouvait retenir de cela, c’était que le flou artistique entretenu permettait de faire perdurer une situation administrative qui n’avait aucune obligation de résultat et dont l’astuce consistait à provoquer des tas de meetings sur les sujets les plus farfelus qui lui permettaient de survivre.
Des sujets absurdes qui auraient pu être comiques s’ils avaient été examinés par des responsables pétris d’humour mais qui étaient simplement destinés à assurer la longévité d’une administration inutile.
Notre petit malin comprit qu’il pouvait apporter sa contribution à l’histoire et de retour vers la machine à café il proposa aux dégustateurs présents une idée géniale, celle d’une possible administration destinée à réglementer le commerce évolutif et incontrôlé des pizzas.
Une idée à laquelle personne n’avait jamais pensé. Elle fut immédiatement commentée puis elle déclencha des réactions surprenantes.
Ce que l’on vit ensuite ressemblait à un déchainement d’énergie qui se nourrissait de tout ce qu’une carte de pizzas pouvait offrir de variétés et d’exotismes entre une Margarita et une Tartiflette en passant par une Roma, une Orientale ou une British. La liste était inspirante et permettait l’ouverture des esprits vers des horizons ensoleillés, vers des lieux qui sentaient bon la tomate, le fromage de chèvre, qui ouvraient bon l’appétit et qui avaient déjà les couleurs chaudes d’une bonne bouteille de rosé, l’indispensable adjuvant digestif de toutes savoureuses dégustations.
La suite déclencha des séries de meetings, des commentaires et des recommandations qui arrivèrent même jusqu’au sommet de l’état, lequel était désormais confronté aux plus vives réactions internationales.
L’Italie revendiquait la paternité de la plupart de ses pizzas et exigeait des compensations financières, des sortes de redevances de brevets à ponctionner sur chacune des pizzas consommées partout dans le monde.
Une situation qui déboucha bientôt sur la fameuse Guerre de la Pizza, toujours en cours de négociations au Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Devant ce déferlement extraordinaire notre petit malin, qui avait imprudemment déclenché cet énorme cataclysme, se disait parfois que si l’administration pensait pouvoir tout réglementer cela allait lui être très difficile avec les pizzas. Et il s’en réjouissait.
Moi je prendrais bien une Italia !
Avec tomate, mozzarella, huile d’olive, basilic et emmental.