Au cours de la conférence annuelle des Anges Gardiens du Bugey, au Palais Episcopal, l’ambiance était très animée. Ils étaient tous là, tous étrangement compactés grâce à leur particularité de ne tenir aucune place. Ce qui fait qu’on ne les voit pratiquement jamais, même lorsqu’on a sérieusement besoin d’eux.
Ils étaient attentifs à écouter les commentaires d’un grand Archange tout bleu, le représentant d’une dimension céleste considérable, venu tout exprès, d’on ne sait où, pour faire le bilan de l’année écoulée et pour préparer 2017. L’attention se focalisait sur de nombreux graphiques qui montraient des évolutions inquiétantes de tendances agressives, de caractères insatisfaits et d’anxieux craintifs du premier janvier. Des manifestations qui risquaient d’assombrir les augures de bonne année et de ternir davantage l’humeur maussade du moment. De mémoire d’Anges Gardiens on avait rarement connu de déprimes aussi sérieuses depuis l’invasion des Huns, sous le règne d’Attila, ou pendant la grande peste de 1348. Bref, ce n’était pas vraiment la joie.
Ce qui était étonnant, c’était la vindicte que certains d’entre eux affichaient à l’égard de leurs semblables en usant de comportements qui modifiaient la nature profonde de leurs missions vouées à l‘amour, au bien être universel et à l’apaisement général des passions. L’harmonie était rompue, comme s’ils étaient tous déréglés pour ne pas dire déboussolés par la brutalité des événements. Cependant, certains gardaient encore la mesure de leur responsabilité comme celui de mon ami Marcel qui réussit à s’épaissir pour pouvoir me contacter.
Je ne savais pas trop pourquoi mais il avait des choses à me dire.
Voilà, me dit-il, nous vivons une période troublée, avec des conflits partout, ce qui demande de notre part des orientations différentes. Vue la natalité galopante, dans le monde, nous sommes actuellement en manque d’effectifs et certaines situations nécessitent de nouveaux déploiements d’Anges Gardiens. Ce qui fait que la majorité d’entre nous devront s’absenter du Bugey au cours de l’année 2017.
Pour ma part, je vais être muté au Liban, chez les Maronites, et je ne pourrais donc plus assurer la sécurité de Marcel, d’où la nature exceptionnelle de ma démarche.
Il faut rappeler que le Bugey est un endroit privilégié, où il ne s’y passe pas grand-chose de dramatique et où il fait bon vivre, on n’a donc pas beaucoup d’interventions sérieuses à faire. Quelques accidents, des dépressions ou des angoisses bégnines, mais surtout des excès de boissons qui font que la conduite automobile de certains pose parfois de sérieux problèmes : à cause des fameux A.O.C.
C’est le cas de Marcel que j’ai souvent reconduit chez lui, à son insu, alors qu’il était incapable de savoir s’il était en marche avant ou en marche arrière.
Etant donné que je vais m’absenter, pendant un an, je vous demande de prendre soin de lui, afin que je puisse le retrouver en forme et en bonne santé dès mon retour. Vous devrez lui faire comprendre que le ciel sera beaucoup moins présent et qu’il devra se débrouiller tout seul pour retrouver des sinuosités praticables lors de ses retours routiers hésitants.
C’était des déclarations étonnantes qui éveillaient ma curiosité.
D’abord je découvrais que les Anges Gardiens pouvaient communiquer avec nous, c’était une surprise, et qu’ils allaient presque tous quitter le Bugey en 2017.
Une révélation qui pouvait avoir de sérieuses répercussions sur la vie de chacun d’entre nous. J’en profitais pour lui demander s’il avait des nouvelles de mon propre Ange Gardien, qu’il connaissait sans doute, et c’est ainsi que j’appris que celui-ci était déjà parti, depuis plusieurs mois, au Sud-Soudan. Une action que je louais, certes, mais que j’ignorais complétement et qui fragilisait ma dépendance.
J’en profitais pour m’informer sur les événements du Sud-Soudan et je me laissais aller à grommeler : « Mais qu’est-ce qu’il est encore allé foutre là-bas, celui-là. » Je me sentais moins assisté par une entité charitable et bienveillante et je réalisais que j’allais passer une année à m’angoisser pour une créature virtuelle, que je ne connaissais pratiquement pas. Laquelle m’avait peut-être secouru de façon discrète lors d’imprudences occasionnelles. Désormais je devais être prudent sans oublier les recommandations qui m’avaient été faites pour mon ami Marcel.
D’où mes souhaits pour cette nouvelle année : prenez bien soin de vous et de vos proches car nos Anges Gardiens seront presque tous en mission humanitaire en 2017. Pensez à eux, soyez prudents et très bonne année quand même !
Paul Gamberini