Il était une fois un petit village pénard et bucolique tel que nos collines verdoyantes pouvaient encore dissimuler aux convoitises d’une administration soucieuse de nivellement structurel. Un lieu où il faisait bon vivre avec un énorme châtaigner séculaire et où on subissait le passage des saisons avec une passivité béate de contemplatifs bienheureux. Nanti d’un bon sens de terroir on pensait que les événements étaient toujours les mêmes, qu’ils se renouvelaient inlassablement, au rythme des saisons, à la mesure de leurs caprices ou de leurs fantaisies naturelles.
On s’accommodait de leurs humeurs du moment en radotant de vieux dictons éprouvés par l’usage et pénétrés d’un humour de joyeux campagnards.
C’était : « Pluie à Flaxieu, arc-en-ciel à Marignieu ! », « Gelée à Chatonod, la gnôle pour les poivrots ! », « Quand on rit à Lavours, c’est jour de fête de four ! », « Chasse à Saint Champ, sale temps pour les faisans ! », « Messe à Pollieu, quête de misère pour le Bon Dieu ! », « Grêlons sur les pinots, piquette dans les tonneaux ! » etc.
Tout cela avec la mémoire des choses puisées dans le souvenir et dans le respect des plus anciens. Car là encore on appréciait l’importance des commodités telle que l’eau courante, laquelle avait toujours valeur d’abondance de robinets, tandis que la lumière conservait son aura fabuleux de fée électrique porté jusqu’à l’émerveillement de sa découverte originelle. C’est dire si le progrès gagnait lentement l’adhésion des esprits à travers un filtre de prudence paysanne qui confinait à une adaptation craintive de tribu primitive. Une mentalité qui influençait les comportements quand le moindre sujet de dépense trouvait son assentiment dans de très longues caresses de moustaches gauloises.
Lesquelles, fièrement exposées, semblaient détenir des pouvoirs étonnants de très grandes perplexités. Avec une telle méfiance de changements qui s’accompagnait d’une parcimonie prudente, portée jusqu’à la confection d’un solide bas de laine communal, on pouvait comprendre le lent processus d’évolution des choses. Rien ne semblait pouvoir influencer le caractère de ce clan solidaire tourné autour d’une petite chapelle où il arrivait, parfois, qu’une religion traditionnelle vienne surprendre des coutumes tribales d’adorateurs celtiques.
Le chef du village, sous son casque d’apparat à double cornes de bœuf charolais, avait parfois des allures de guerrier théâtral prêt à se confondre dans des scénarios aux dénouements tragi-comiques.
Un druide fabriquait différents types de potions magiques conformes aux meilleurs A.O.C du coin, capables de rendre leurs fidèles adeptes prompts à vociférer des grognements tirés du fond des âges. Cependant des aménagements avaient été réalisés avec la mise en place d’un réseau collectif qui débouchait sur une superbe station d’épuration et avec une table d’orientation qui existait au sommet d’une colline consacrée à l’eau potable, et dont l’accès difficile la préservait de fréquentations abusives. Rien ne semblait donc forcer le destin champêtre, heureux et indépendant de ce petit village lorsque des propositions étrangères commencèrent à taquiner sa longue tranquillité. On parlait de rapprochements de communes, de mutualisations et d’élargissements de territoires, autant de choses bizarres qui ressemblaient à une immixtion conquérante d’envahisseurs communautaires. Elle avait le caractère insidieux de ces messages officiels qui voulaient dire : « Rien ne vous oblige à vous rapprocher d’une autre commune, cependant on vous conseille quand même de le faire ! »
Ainsi on veut nous pousser à perdre notre indépendance tribale, conclut le chef du village, enfoncé dans son casque d’apparat. Avec une autre commune, ajouta-t-il dépité, mais avec qui ? Pour calmer son humeur belliqueuse, il décida de convoquer le conseil des anciens.
Et c’est ainsi, alors que tous étaient rassemblés dans une petite clairière, sous une lune voilée de pudeur printanière, que l’on écouta le chef, debout sur une gerle renversée, exposer le problème du moment. Les moustaches étaient attentives et la première réaction fut celle du potier qui vendait ses amphores dans les quatre coins de la civilisation. Il aimait l’Italie et proposa un mariage avec un petit village de Toscane. Un autre moustachu, maçon de son état, rebondit sur l’idée en proposant un petit village des Pouilles, avant de renchérir :
« Un petit village des Pouilles ! Voilà ce qu’il nous faut, après ça ils ne viendront plus nous les casser, les Pouilles ! »
Un joyeux bidouilleur de bidules électroniques proposa un petit village de Bretagne, semblable au caractère local, mais sa suggestion ne fut pas retenue non plus. Enfin on hésita entre un mariage d’amour, d’argent ou de raison et comme on savait que l’amour ressemblait à un feu de paille, que l’argent était dominateur, on se réfugia dans l’espoir d’un modeste mariage de raison.
Une petite commune voisine, inoffensive, aux deux églises, avait les attraits de la simplicité et on se décida à entamer auprès d’elle les premières tentatives de séduction. Affaire délicate qui fut menée avec la diplomatie et le savoir-faire de ceux qui détestent avoir soif. Potion magique oblige l’affaire fut emballée et un mariage fut décidé après avoir négocié le délicat contrat unitaire qui faisait un inventaire méticuleux de toutes les cuves, les futailles, les gerles et les tonneaux.
Le mariage civil eut lieu au milieu des bois en présence d’une population raisonnablement conditionnée et de quelques officiels super cravatés et grands discoureurs patentés d’événements solennels.
La suite suscita les comportements usuels : dans la pénombre d’études opportunistes, quelques juristes fielleux peaufinaient déjà des plaidoiries de divorces tandis que les druides locaux préparaient amoureusement les premières cuvées pétillantes des très lointaines mais des très probables noces d’or. Car comme on disait alors à Marignieu : « Mariages bien arrosés, solides dans la durée. »
A suivre !
Paul Gamberini