Une Dame, que j’ai rencontrée en ville, m’a parlé des papillons, elle en voyait partout. A l’écouter elle subissait une invasion insupportable qui allait de sa superbe véranda à sa grande piscine en passant par tout ce qui faisait le bien être, très douillet, de son extraordinaire existence estivale, barbecue y compris.
Elle était excédée, au bord de la crise de nerfs, elle en voulait à la terre entière et maudissait tous ces responsables ignares qui ne faisaient strictement rien pour considérer son état très particulier de très grande Dame privilégiée.
Toujours inspiré par une petite touche de fantaisie, je comparais son sort misérable à celui de Madame Butterfly, héroïne d’opéra empêtrée dans un destin tragique. Une histoire célébrée par Puccini dans une musique sublime, laquelle nous mène lentement dans un dénouement dramatique : le suicide de l’héroïne victime désespérée d’un amour trahi.
Hélas ! C’est un éveil de sensibilités pour les spectateurs poussés vers des extrêmes de tristesse aux petites larmes faciles mais sincères et de circonstance. Combien j’aime l’héroïne de cet opéra, une jeune et fragile japonaise du nom de Cio-Cio-Sang, ou Madame papillon, abandonnée par un jeune marin américain dans une situation qui lui sera fatale.
Une finalité qui devrait nous permettre de mieux mesurer notre tristesse actuelle en lui donnant la mesure qui lui convient, histoire de dominer nos difficultés, avec une sérénité fortifiée. Aussi, avec une spontanéité toute musicale, j’interprétais devant cette Dame rencontrée, avec ce que je pouvais de voix inadaptée, l’air célèbre de cette œuvre mémorable de Puccini : “Sur la mer calmée, monte une fumée”. Je l’encourageais même à écouter le passage célèbre de “Un bel divedremo” en lui disant, qu’ainsi, elle aurait la faiblesse d’émotions tellement humaines et tellement belles qu’elle en oublierait ses misères passagères de multiples papillons dévastateurs. Mais je ne suis pas sûr que cela ait suffit à changer son comportement désagréable.
Certes, la tristesse du moment n’est pas la même que celle de notre jeune héroïne japonaise, elle n’en a pas la même intensité. Mais il n’empêche que de nombreux adeptes champêtres de notre belle région en éprouvent des formes variées avec le sentiment d’avoir été agressés par un fléau asiatique. Par ces multitudes de papillons qui nous viendraient de Chine.
Une invasion portée par quelques buis imprudents et décoratifs, dont les parasites, non détectés, seraient rentrés clandestinement sur nos territoires.
Desquels il est difficile d’identifier les larves, car ce genre d’importations dominées par les excès de la mondialisation n’en finissent pas de modifier nos habitudes et le tissu même de nos très vieilles traditions. Nos forêts sont dévastées et la survie des buis relève d’une hypothèse incertaine, sans en connaître les conséquences possibles sur d’autres espèces végétales. Ces insectes ont-ils eu le temps de pondre, les mâles étaient-ils toujours actifs, les femelles consentantes, l’hiver sera-t-il rigoureux ?
Mais quand on connait le pouvoir reproductif de la Chine on ne peut que s’en inquiéter.
Tout ça pour m’amener à comparer mes deux Dames papillon évoquées ci-dessus, l’une émouvante et digne d’un opéra immortel et l’autre irritante voir agaçante, exigeante, insupportable et dont la musique d’accompagnement pourrait ressembler à ce genre de cacophonie que l’on entend parfois. De ces bruits qui font grincer les instruments au point de les rendre assourdissants et que l’on n’écoute même plus.
Bien sûr nous sommes tristes, nous sommes tous tristes, mais essayons de trouver la bonne musique d’accompagnement pour anéantir définitivement cette misérable invasion.
J’espère que de solides experts travaillent déjà sur une partition salutaire, façon vive le vent d’hiver, aux vertus insecticides. Alors, laissons les faire et attendons les premiers mouvements de leur mélodie, capables d’adoucir les mœurs et de détruire les papillons, du buis !
Merci pour eux.
Paul Gamberini