Georges Siegenthaler, pouvez-vous nous présenter votre métier ?
G.S. : Biochimiste chercheur et ex-maître de conférence à la faculté de médecine de Genève à la retraite, je me suis établi définitivement à Seyssel avec mon épouse il y a un peu plus d’une dizaine d’années. De peur de m’ennuyer à la campagne j’ai créé de novo un domaine viti-vinicole en 2003 dans le but de produire des vins de garage, mais néanmoins de haute gamme.
Très rapidement, je me suis rendu compte que le sol était l’élément crucial pour produire des vignes robustes envers les maladies et pour produire les raisins de haute qualité indispensables à l’élaboration de grands crus. D’où notre devise : “C’est dans la vigne qu’on fait le vin.”
Je suis donc devenu vigneron. Cependant, les méthodes de culture traditionnelles (labours-engrais chimiques-traitements phytosanitaires-déserbants) ne sont pas compatibles avec la biologie du végétal et la microbiologie du sol. Il a donc fallu mettre au point de nouvelles méthodes innovantes d’agriculture, respectueuses de la biodiversité dans le vignoble. Ainsi la vigne et le sol sont devenus mon laboratoire de recherche.
Quelle est l’mportance du système racinaire ?
G.S. : Quand on regarde un végétal, donc la partie verte au-dessus du sol, il faut savoir que la surface des racines est 10 fois plus importante. Si l’on considère les poils adsorbants des racines qui sont des micro-racines, la surface est 100 fois plus importante. Le système racinaire comporte en plus un réseau de champignons filamenteux qui se propage loin dans le sol et qui est intimement intriqué aux poils adsorbants que l’on appelle les mycorhizes. Il a été prouvé que les mycorhizes apportent à la plante de l’eau, des sels minéraux, des fongicides naturels et des hormones de croissance, alors que la plante fournit à la mycorhize des sucres énergétiques. C’est une symbiose gagnant-gagnant. Si l’on tient compte de la contribution des mycorhizes, la surface racinaire est 1000 fois plus importante que la surface de la plante au-dessus du sol.
Cela signifie que le vigneron ou le jardinier ne s’occupe en réalité que d’un millième de la surface de sa plante, c’est bien trop peu !
De plus, quand il laboure sa terre ou qu’il utilise des fongicides systémiques, il détruit le système mycorhizien et prive ses plantes des facteurs bénéfiques apportés par les mycorhizes.
La plante devient plus fragile, ses fruits plus insipides, et elle nécessitera plus de traitements pour garantir les rendements.
Les racines et leur rôle…
G.S. : La plante ne se déplace pas pour chercher les nutriments dont elle a besoin ; elle les trouve au niveau de ses racines ou à l’aide des mycorhizes. Dans un sol stérile, c’est le vigneron ou le jardinier qui lui amène directement sa nourriture minérale par les engrais chimiques, c’est un peu comme si l’on effectuait une culture hors sol comme dans les serres industrielles.
Dans un sol sain et riche en biodiversité (flore, faune et microorganismes) les choses sont très différentes. L’activité biologique du sol (racine de l’enherbement, vers de terre, arthropodes, bactéries), provoque un brassage continuel et doux de la terre sur un très grand volume. Les nutriments et les minéraux sont générés par l’activité microbienne (leur vie, leur mort, leur renouvellement). C’est ainsi que la richesse minérale est alors maximale pour les plantes. Il est donc nécessaire de nourrir les habitants du sol par de la matière organique et non par des engrais chimiques. En fait, si la biodiversité du sol est riche, la plante se comportera d’autant mieux.
Parlez-nous de l’évolution du sol depuis que vous le cultivez ?
G.S. : Le sol de notre vignoble s’est considérablement ameubli, la richesse en biodiversité de la flore (notre enherbement est magnifique lorsqu’il est en fleur) et de la macro-faune (augmentation du nombre de vers de terre, sauterelles, araignées, coccinelles, etc) a incroyablement augmenté. Cette complexité rend le système du sol beaucoup plus stable et limite le développement d’une espèce aux dépens d’une autre. La population des prédateurs de ravageurs est aussi plus importante. Ce type de sol a permis, lors d’années climatiques difficiles, de produire des vins exceptionnels par rapport à un sol nu et stérile. Cependant, le plus important est que les plantes sont devenues plus robustes et plus goûteuses en raison de la qualité et la diversité des nutriments fournis par l’activité biologique des habitants du sol. Ce qui s’est traduit par une diminution significative des traitements. Ainsi, grâce à nos méthodes de culture, nous sommes devenus un vignoble modèle au niveau national (plan Ecophyto) dans la diminution des intrants, bien que nous soyons en agriculture biologique certifiée.
Principe de base pour avoir un bon sol prêt à cultiver ?
G.S. : En culture avec des plantes pérennes : éviter le labourage et gérer l’enherbement par des tontes.
En culture maraîchère ou jardin potager : griffer ou greliner le sol.
Pour les deux types de culture, ajouter de la matière organique (végétaux, tontes) pour nourrir le sol (ses habitants) et corriger avec un minimum d’azote organique bio (granulats) et de Paten Kali (K + Mg) en fonction des carences possibles.
Tout au long de l’année le sol doit toujours avoir une couverture organique telle que déchets de végétaux ou engrais verts.
Georges Siegenthaler,
Dr en biochimie et vigneron
Domaine de Vens-Le-Haut, DVH,
Route du Crêt 772, 74910 Seyssel
Vous voulez en apprendre d’avantage ? Retrouvez Georges lors de sa conférence les 3 et 4 octobre prochain, au Lac d’Aiguebelette lors de la 38èmes Journées des Plantes