C’est assez rare de l’entendre se plaindre.
Ce matin-là, devant sa boîte-aux-lettres, à peine confesse-t-il un léger agacement de ne pas recevoir son journal dans les temps. « J’ai fait une erreur en prenant cet abonnement, je voulais les nouvelles de l’Ain mais j’ai toujours un jour de décalage… ».
Son éternel sourire et son regard si doux vous séduisent au premier contact. De sa voix posée et avec beaucoup de pudeur, Robert Bardin nous raconte bientôt 97 années faites de labeur, mais aussi de formidables instants de vie.
Une enfance hors normes
« Je suis né le 1er mai 1920, à 7 mois ½ de grossesse. Je pesais 3 livres ! A l’époque la couveuse n’existait pas, on m’a mis dans une boîte à chaussures avec du coton, on m’installait près du feu ou au soleil ».
Aîné de 7 enfants, Robert est placé par ses parents dès l’âge de 10 ans dans une exploitation voisine. « Cela faisait une bouche de moins à nourrir, mais je ne leur en veux pas, c’était comme ça ».
L’école n’étant pas obligatoire, à 12 ans il la quitte pour les travaux de la ferme, payé 2 francs / jour. « Mes employeurs m’achetaient des vêtements de temps en temps, et des chaussures ; enfin seulement l’hiver, l’été j’allais pieds nus… ».
Quatre années dans cette première place, puis treize dans une seconde ferme, à Nattages. Il travaille dur, livré à lui-même, mais son caractère facétieux et son amour de la vie le sauvent : « J’aurais pu devenir un voyou. A 12 ans j’allais au bal tout seul, mes parents ne le savaient pas. J’aimais danser, j’étais toujours le dernier à rentrer… ».
Tous les dimanches, il écume donc les bals des alentours. Ses cavalières sont des jeunes filles de son âge, des plus âgées, voire des femmes mariées. « Je me souviens d’une, chaque fois que c’était une valse, elle se levait ; elle savait que c’était pour elle ».
Ancien combattant
Durant la seconde guerre mondiale, il est blessé, une balle traverse sa mâchoire. Il passe 1 an ½ à l’hôpital militaire, le bas du visage immobilisé. « Pendant 6 mois j’ai mangé des bouillies à la petite cuiller ».
Il assiste aux derniers instants d’un compagnon d’infortune, promet de témoigner auprès de la famille de celui-ci, ce qu’il fera. Robert Bardin est décoré de la Médaille militaire, de la Croix de guerre et de la Légion d’Honneur.
Mais pendant 34 ans, c’est près de Culoz qu’il vit et travaille. La journée, comme ouvrier pour l’usine Martini, le soir dans son potager et ses vignes. Une vie de labeur pour faire vivre ses 3 enfants, internes à Culoz (« car à l’époque il n’y avait pas de ramassage scolaire »), à qui il transmet le goût de l’effort.
Retraité depuis 1980, il s’amuse d’y avoir passé autant de temps qu’à son poste. Un juste retour des choses !
« Je me suis bien amusé »
Aujourd’hui, Robert Bardin coule des jours paisibles au Foyer Logement de Yenne.
Il en est un des vétérans. Il a gardé de l’intérêt pour tout ce qui l’entoure, continue de se passionner pour le sport, les voyages et la nature. Il n’a pas de regrets. « J’aimais la vie, je me suis bien amusé… maintenant je veux partir comme je suis arrivé, dans l’intimité ».
Fabienne Bouchage